Le Daim, de Quentin Dupieux

La folie tranquille !

Vous imaginez un film construit autour d'une veste en daim ? Eh oui, s'il n'existait pas il faudrait l'inventer et c'est ce que le réalisateur Quentin Dupieux a fait. Un projet un peu fou et qui a joliment pris forme. Des hommes et des femmes ordinaires, à première vue, dans un coin un peu paumé et quelconque, à priori, et un paysage on ne peut plus "plat". Et pourtant le déroulement est épicé, loufoque, d'une absurdité et d'un alarmant grandissants ! On se laisse bercer, on reçoit une claque sans s'y attendre. Et l'on rit non pas jaune mais couleur daim. Le jeu des acteurs est parfait, le film réussi et muni d'un ton juste. Des ingrédients d'une grande simplicité nous offrent au final une vision effrayante. Eh oui, nous sommes plongés non pas dans la force tranquille mais dans une folie tranquille !

Qu'est donc l'art du cinéma, si ce n'est de nous transporter dans un univers insoupçonné ? Le Daim nous parachute dans une France profonde, peu peuplée, reculée, dans une campagne indéfinie. Le paysage est plat, les tons sont ternes, aucune couleur forte ne vient trancher dans ce décor un peu fatigué. Un homme conduit sa voiture. Il s'arrête dans une station essence. Il en a contre son anorak subitement. Il s'en défait et le noie littéralement dans la cuvette des toilettes anonymes. Il débarque chez un homme qui a fait paraître une annonce. La transaction aboutit : l'homme sans anorak s'achète un daim, une veste en daim authentique, avec franges et le tutti quanti. Et ce daim, cette veste restée dans une malle des décennies durant, devient le personnage principal du film, le maître de cet univers, qui dicte son bon vouloir à ce petit homme qui le porte et qui de ce fait devient subitement quelqu'un. Du statut anonyme notre homme se revêt d'un statut de haute valeur. Et l'idée lui prend de faire un film. Sur son daim. Et de devenir le seul homme qui porte une veste...

Jean Dujardin crève l'écran avec son regard éperdu et esclave du fabuleux Daim. Mais vous le savez bien, les grands films sont fondés sur les trios. Et arrive donc Adèle Haenel. Serveuse dans un bar, dans la petite ville de ce coin paumé de France. Un ou deux clients accoudés au bar, et elle, ses rêves de grandeur et de réussite : c'est une monteuse née. Elle se laisse embarquer dans le projet fou de ce drôle de bonhomme qui dit être réalisateur, et qui porte un daim d'une fraîcheur éclatante. Et quel est le CV de la monteuse ? Elle dit avoir intégralement refait le montage du film Pulp Fiction de Quentin Tarantino, pour organiser le séquences dans l'ordre... et qu'elle a ainsi rendu le film insensé. Tiens, un autre Quentin ! Tiens, une référence qui ne passera pas inaperçue. Nous sommes prévenus, nous allons être embarqués dans une drôle d'histoire, de violence absurde et d'hilarité assurée, d'humanité décortiquée jusque dans son moindre détail doucement dingo.


     

     

Un quelque chose d'inquiétant enveloppe le film à chaque instant. Ces êtres très ordinaires qui s'avèrent être totalement déconnectés de toute réalité tangible, tout en étant à leur manière très terre à terre, cela aussi est déstabilisant. Et l'ahurissant va crescendo dans le film. C'est drôle. Mais pourtant c'est tout sauf drôle. Adèle Haenel qui garde la tête froide, Jean Dujardin qui est soumis et obéissant envers son daim, tout cela adoucit le récit effrayant. Et la chute, bien entendu est forte. Mais la chute est présente tout le long du film ! On finit par l'accepter au dernier moment, parce que jusque là on attendait de voir. De voir quoi, me direz-vous... On ne sait pas. On regarde pour voir. Et j'avoue m'être délecté, scandaleusement. Le Daim est un bon film. Que je n'aurais peut-être pas su apprécier il y a vingt ou trente ans. Avec les ans j'ai dû me dérider ! Et surtout, le temps passant, je suis peut-être devenue allergique au politiquement correct, dont il n'y a pas une once de présence dans ce film.

Toutes les scènes du film, toutes anodines, sont grandioses. Les expressions des acteurs, les dialogues, les pauses, les inquiétudes, nous happent et le malheureux sentiment du destin absurde vécu par notre homme au daim ne peut laisser indifférent. Et à y repenser j'ai peut-être aimé ce film parce que rien n'y personne n'est normal dedans. Tout est d'une inconscience ravageuse. Tout est d'une douceur par trop violente. Et la violence est dans le désir. Ce désir de l'homme qui n'est pas justifié, qui n'est pas proportionnel, qui est illimité. Et tout cela rentre dans le cadre, de ce film. Oui c'est filmé, monté, avec un cadrage remarquable. Le cadre est lui-même cadré par ce deuxième film qui se tourne et se monte dans le film que nous regardons. Et par un jeu d'effets de miroirs on sait qu'il n'y a aucune fin au désir de l'Homme, aucune limite à son application pour l'assouvir. Et bien entendu, les petits plaisirs, ça coûte cher, et ça se paie ! 
Ne pensez pas que je cherche à être énigmatique dans mes propos. Je ne souhaite simplement pas vous gâcher le film en vous révélant de trop son cours tranquille et intranquille. Parce que, oui, j'ai aimé ce film, et oui, je vous invite à aller le voir.

LE DAIM
Réalisateur : Quentin Dupieux
Scénario : Quentin Dupieux
Superviseur musical : Martin Caraux
Directeur de la photographie : Quentin Dupieux
Montage : Quentin Dupieux
Directeur artistique : Joan Le Boru
Casting : Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy, Pierre Gommé
Date de sortie France : juin 2019

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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