Lands of murders est un très proche cousin de La Isla minima, film espagnol sorti en France en 2014. Mêmes principes : adapter au film un arrière-plan politique confinant à la schizophrénie et montrer, au moyen de plans en forte plongée, des personnages rendus microscopiques, perdus dans l'espace, comme emportés par le vent de l 'histoire.
L'arrière-plan politique en question ici est un entre-deux fascinant, ce moment qui a suivi la chute du mur de Berlin et précipité l'Allemagne dans une période de doute qui n'a pu se résorber qu'avec le temps.
Autre point commun et pas le moindre avec La Isla Minima, ce duo de policiers, figures d'un buddy-movie sombre mais beau. L'intérêt de l'attelage tient à la nature de ces deux flics qui sont faits pour ne pas s'entendre. L'un (Patrick) vient de l'Ouest et le second (Markus) est un ancien de la Stasi.
Tout les oppose, le physique et les méthodes que l'on devine héritées de deux modes de vies bien différents : le premier est frêle (il ne sait pas se battre selon Markus) et adepte de méthodes régulières d'investigation quand le second est massif et rapidement à la limite. Le premier va être père de famille quand le second semble avoir la vie derrière lui, le premier a un avenir, le second un passé que l'on devine assez lourd à porter.
Ces deux personnages, à travers ce qu'ils représentent, donnent une densité remarquable au film. On s'intéressera à l'enquête, assez intrigante, sur les crimes odieux commis dans cette région reculée de l'ex RDA ; on relèvera le beau travail sur la lumière et les décors du film qui donnent cette impression de survivance post-apocalyptique ; on remarquera l'irruption des mécanismes capitalistes et leurs conséquences au sein de l'entreprise ; on s'attachera aux pas de ces deux hommes, l'évolution de leur relation et l'humanité qu'ils dégagent ; on ne manquera pas de noter l'évidence : l'un incarne l'avenir, l'autre un passé, de ceux que l'on préfère oublier. Ainsi Markus finira par disparaître, d'ailleurs il est déjà en voie de disparition, comme nous le suggère la maladie qui le tenaille tout au long du film.
Mais il disparaîtra sans jugement sur ses crimes passés, comme le régime qui l'a porté, et sans être pardonné, ce que la fiction aurait pu montrer. C’est à ce prix que l'on peut entamer rapidement la réunification et la construction d'un pays. Le travail de mémoire, lui, viendra plus tard.
LANDS OF MURDERS
Film allemand
Réalisateur : Christian Alvart
Scénario : Siegfried Kamml, Christian Alvart
Musique : Christoph Schauer
Directeur de la photographie : Christian Alvart
Casting : Felix Kramer , Trystan Pütter , Nora Von Waldstätten
Distributeur : KMBO
Date de sortie France : juillet 2020
Durée : 129 mn
L'auteur de cet article est Thierry Dorangeon.
Il est programmateur au cinéma Galaxy (région de Porto-Vecchio en Corse 20137, Lecci) et président de l'association Cinémotion.