La vie invisible d’Euridice Gusmao, de Karim Aïnouz

Une famille ; deux vies ; deux destins

Parfois un film, un livre, une expo nous attirent sans que l'on sache pourquoi. Ce fut le cas pour moi avec La vie invisible d'Eurídice Gusmão. Je n'ai pas vu la bande annoncé, je n'avais pas lu ni entendu les critiques... je ne savais rien de ce film et pourtant j'ai su immédiatement que je voulais le voir, absolument. Je l'ai vu ! Il m'a bouleversée. J'ai mis des jours avant de parvenir à en sortir. Tous vous diront que c'est un très bon mélo. Et moi je vous dirais, n'allez pas le voir, il est déchirant. Mais je vous dirais aussi, allez le voir, c'est du grand cinéma !

Le film s'ouvre sur des couleurs fortes et sur des images vives, perturbantes, quelque peu angoissantes. On se sent un peu perdu, agressé, et ce n'était pas conforme à l'idée que l'on pouvait s'en faire, a priori. Et puis le décor est posé, les personnages tracés, le rythme installé, enfin. C'est une histoire de famille. Une famille d'origine portugaise installée au Brésil. Les parents, traditionnels, leurs deux filles, belles, jeunes, sensuelles. L'une joue du piano, l'autre aime la vie du dehors, l'idée de l'amour. L'une reste, l'autre part. Et deux destins se déroulent sous nos yeux, deux vies, longues, lentes, rudes et riches, tendres et accablantes. Le film dure deux heures vingt, le temps en effet de n'être plus dans notre vie mais dans la leur, devenue plus réelle que la nôtre .

L'histoire mise en scène est déchirante mais plausible. Elle est d'ailleurs tirée d'un roman. Mais il me semble que le jeu des acteurs, et notamment des deux sœurs est si ahurissante qu'il est impossible de ne pas s'y laisser prendre. La bande son, les images, le déroulement de ces séquences qui se suivent, tranquillement, inévitablement, et l'ellipse grandiose qui survient à la fin du film font leur effet sur le spectateur. La magie du cinéma opère, et l'on est bien en présence d'un art abouti, avec justesse et simplicité. Et puis les rôles sont très vite distribués, le père est à sa place, le mari à sa place, l'enfant à sa place ; les femmes à leur place. C'est effrayant, inadmissible mais infaillible.

   

     

Mes quelques mots sur le film et l'histoire sont réducteurs. Mais comment faire le tour de tout ce qui s'y trouve. Le récit mis en image est riche de thématiques, de techniques cinématographiques et de liens. Ce qui relie deux amies, ce qui fait qu'une amitié se transforme en une relation proche de celle que l'on aurait en famille. Les multiples sens de l'amour, et du soi sont peints de main de maître. Tout être humain vit des transformations profondes, parce que la main du destin vient s'en mêler, mais notre fil de soi peut-il se rompre, peut-il s'arrêter pour reprendre autrement ? Et puis, qu'est-ce que la sororité...

Dans les préceptes anciens de la peinture chinoise on disait que pour embrasser la profondeur il fallait pouvoir distinguer le proche et le lointain. Dans ce film le plus proche de soi est hors de portée et ce qui est tout près est loin de soi. Dès lors on baigne dans des eaux profondes... Le spectateur est parachuté dans ce grand fond, sans s'y attendre, sans savoir quand ni pourquoi. Et lorsque le générique arrive il est difficile de remonter à la surface.

LA VIE INVISIBLE D'EURIDICE GUSMAO
Réalisateur : Karim Aïnouz
Adaptation du roman de Martha Batalha
Scénario : Murilo Hauser, Karim Aïnouz, Inés Bortagaray
Compositeur : Benedikt Schiefer
Directeur de la photographie : Hélène Louvart
Chef monteur : Heike Parplies
Casting : Carol Duarte, Julia Stockler, Gregorio Duvivier, Barbara Santos, Flavia Gusmao, Maria Manoella, Antonio Fonseca, Cristina Pereira
Date de sortie France : 11 décembre 2019
Film brésilien et allemand

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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