La vie devant soi, film d’Eduardo Ponti

Une mère, un fils

Peut-on regarder un film parce qu'on a à cœur de se plonger dans un roman ?!
Nous savons bien que la plupart des films à l'affiche, de nos temps, sont des adaptations de livres. Mais dans ce cas précis, j'avoue que j'ai eu envie de me remémorer le roman de Roman Gary, lu il y a bien longtemps, qui lui avait valu un deuxième Goncourt en 1975 sous un autre nom de plume, Emile Ajar. Et puis, le rôle de Madame Rosa est interprété ici par la sublime Sophia Loren qui n'avait plus tourné depuis dix ans. Quoi de plus touchant, par ailleurs, de savoir que le réalisateur n'est autre que le fils de l'actrice !
Le film est sorti en novembre 2020, mais n'a pas connu un triste sort puisque Netflix a racheté les droits pour le diffuser à l'envi. Et j'ai été bien heureuse de le voir langoureusement chez moi, en attendant la réouverture des salles de cinéma.

L'histoire, nous la connaissons bien, et certains parmi nous ont peut-être vu autrefois la version tournée avec Simone Signoret en 1978. Madame Rosa est une ancienne prostituée. Elle garde les enfants de jeunes prostituées maman. Et Momo arrive dans sa vie. Ce garçon incorrigible et touchant, à la voix si particulière. Car, n'oublions pas qu'il est le narrateur du roman. Et c'est l'excellence de ses mots qui a peut-être valu un Goncourt à son auteur. Il a un parler simple et cru, mais les vérités y étincellent et l'émotion y vibre avec force. Ces deux êtres sont à mille lieux l'un de l'autre ; elle est une vieille juive rescapée de l'holocauste, lui est un gamin des rues musulman et bien peu croyant. Mais ils finiront par s'aimer comme mère et fils spirituels. C'est amusant que cette version italienne soit ancrée dans les Pouilles. Mais les images nous parlent car elles offrent une universalité qui fera écho chez tous les citadins d'hier et d'aujourd'hui.

Je vous parlais à l'instant de la voix du narrateur. J'ai tant aimé que le film ait gardé cette voix. En voix off, on entend Momo nous raconter sa version des faits. Et, cependant que je regardais les images, je tentais de me rappeler les mots du roman, lu il y a des décennies. Je cherchais dans ma mémoire les mots lus de Momo et me demandais si les phrases étaient fidèles au texte. Car ici le personnage de Momo est réactualisé, en quelque sorte. C'est un Momo d'aujourd'hui avec son casque sur les oreilles, où hurle une musique de jeunes de nos jours. Il danse à la mode d'aujourd'hui. Et ce garçon m'a semblé moins enfantin que celui que j'avais rencontré autrefois dans le livre. Mais n'était-ce pas moi qui avais évolué, et changé de regard ?!

                

Vous l'aurez compris, le jeu des acteurs est beau. Ils font vrais. À tel point que l'on ne peut les voir autrement que dans la simplicité de leur mouvement, leur gestuel, leurs moues à l'écran. Et le film est doux. C'est une tranche de vie. Le réalisateur ne cherche pas à se mettre en avant, ne cherche pas à faire un film dont on dira qu'il est remarquable. C'est un souffle de vie qu'il met en scène, et nous le percevons dans son entièreté. Sophia Loren, bien entendu, est Sophia Loren, à 86 ans. Elle crève l'écran par sa présence. On sait bien que dans le roman Madame Rosa n'est pas belle comme notre Sophia Loren, et pourtant la chose fonctionne à merveilles car c'est la beauté intérieure qui se dévisage sur la face de Madame Loren, et peut-être aussi, l'amour que lui porte son fils.
Disons un mot aussi de celui qui interprète Momo. Le jeune Ibrahim Gueye m'a épatée par le nombre d'expressions qu'il parvient à rendre, de son regard, d'une moue imperceptible de la bouche, et de sa posture physique. Et puis, bien-sûr, j'aime le personnage de Monsieur Hamil, et l'acteur Babak Karimi m'a semblé l'incarner parfaitement. Les louanges peuvent être déclinées pour tous les acteurs qui portent l'histoire, en réalité.

Mais voyez-vous, il est une chose qui m'est restée des images de ce film. Car elles sont belles. Mais la question n'est pas là. C'est la place laissée au ciel. Le Ciel est là. De jour, de nuit, rosé, lumineux, sombre, le céleste émane de ces cadrages façon carte postale. Et c'est bien une carte postale qui, dans le film, est synonyme de bonheur..
L'image ici parle de grandeur venant de notre propre regard, sur la vie. La toute première scène nous le dit bien : elle est filmée d'en haut, deux personnes traversent la rue, mais ce sont leurs ombres projetées en avant que nous voyons et suivons. Cette première scène sera démystifiée plus tard dans le film. Et c'est ainsi que la boucle sera bouclée. Le début est dans la fin, et inévitablement les deux se rejoignent. La seule chose qui compte, peut-être, est d'apprendre un peu à vivre, comme dirait Momo :

(...) je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie.
Le bonheur, c'est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre
.

En regardant le film me traversaient sans cesse des images d'autres films vus ces dernières années, ou d'autres livres lus. Tous ces nouveaux romans et nouveaux long-métrages n'avaient-ils pas repris les personnages et l'intrigue de La vie devant soi, écrit il y a cinquante ans ?!
Relisons l'œuvre de Romain Gary. Regardons de nouveau les œuvres cinématographiques où joue Sophia Loren..

LA VITA DAVANTI A SÉ
(La vie devant soi)
Réalisateur : Edoardo Ponti
Scénario : Edoardo Ponti, Ugo Chiti
Bande originale : Gabriel Yared
Directeur de la photographie : Angus Hudson
Chef monteur : Jacopo Quadri
Casting : Sophia Loren, Ibrahim Gueye, Abril Zamora, Renato Carpentieri, Babak Karimi, Massimiliano Rossi,
Date de sortie : novembre 2020
Producteur : Palomar
Distributeur : Netflix
Adapté du roman éponyme de Roman Gary (Emile Ajar)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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