Ces morts qui encombrent...
Les premières scènes du film sont énigmatiques. On assiste à une réunion où les hommes décident de maintenir leur position avec courage, et les femmes qui sont rassemblées dans une autre pièce invoquent le ciel pour leur venir en aide. Très vite on saura qu'un procès est en train de se dérouler et nous assisterons au verdict. Le général Monteverde est reconnu coupable du génocide du peuple guatémaltèque maya. La décision du tribunal sera révoquée dès le lendemain et suite à cela des manifestants se présenteront autour de la maison du général. Puisque le coupable est protégé par le système, puisque le génocide ne peut être officiellement reconnu, ce seront des voix humaines qui viendront porter la voix étouffée de la justice. Durant tout le temps où se déroule le film ces hommes et ces femmes seront là, dehors, à brandir leurs affiches et à chanter, hurler, jouer de la musique, et dénoncer surtout le maître de maison pour les infamies commises. La famille du général est obligée de vivre dans un huis-clos de plus en plus pesant. Les domestiques quittent la maison ; indigènes eux-même ils craignent les mauvais esprits de la maison. La gouvernante, restée seule contacte son village en demandant de l'aide pour l'entretien de la maison et une jeune femme se présente, qui sera recrutée et logée. Mais qui est-elle ? On ne le saura qu'à la fin du film.
Je vous ai parlé du contexte historique, de l'intrigue et de son déroulement dans le film, mais le plus effarant n'est pas là. Car voyez-vous, en prenant place dans la salle de cinéma j'ai été prévenue par ma voisine que j'allais voir un film d'horreur. Oh, je lui ai été reconnaissante de me prévenir. La llorona n'est pas un film d'horreur, c'est un film qui souhaite nous faire comprendre l'horreur, et en cela il adopte l'art du genre ! Moi qui n'aime pas les films d'horreur en général, les trouvant creux, leur reprochant d'inscrire l'angoisse en moi gratuitement, j'ai été soufflée ici par l'à propos de cette atmosphère inquiétante. Un esprit guette. Le général et son garde du corps tentent de le débusquer, de le contrer. Naturellement ces scènes se déroulent dans l'obscurité de la nuit, accompagnées d'une bande de sonore à vous glacer le sang, tournées avec cette force qui vous empoigne, vous déplace d'une pièce à une autre et porte la menace toujours plus avant. Mais puisque nous sommes chez l'homme à la poigne de fer, nous n'avons rien à craindre, n'est-ce pas ?!
En réalité nous n'avons jamais réellement peur dans le film. Nous avons simplement peur de ce que nous allons découvrir, apprendre, savoir. La force de ce cinéma est précisément dans cette grâce avec laquelle nous sommes infailliblement portée vers la vérité, que nous le souhaitions ou non. Cette vérité masquée que les officiels ont toujours réfutée, que les témoins n'ont pas trouvé la force humaine, autrefois, de révéler. Aujourd'hui une page semble se tourner au Guatemala et exiger que la lumière soit faite. Le temps de dire est venu. Pour ma part j'avoue que c'est la deuxième fois en un an que je vois un film sur cette même thématique. À chaque fois j'ai été ahurie par l'art de couvrir un sujet en empruntant au domaine romanesque, à l'intelligence d'un scénario et au respect en ce faisant des croyances ancestrales, d'une spiritualité ancienne.
Héraclite disait que l'on ne se baigne jamais dans la même eau deux fois. Et si l'eau du passé venait submerger le présent, quel visage prendrait le phénomène ? Jayra Bustamente, talentueux réalisateur de ce film, nous offre une version de cette hypothèse incongrue. Parce que l'horreur est inacceptable, parce qu'une extermination, dans la violence physique et psychologique incalculable, est à bannir de nos imaginaires, le film nous plonge dans l'eau, dans la mémoire de l'eau, serais-je tentée de dire.
Chacun des personnages joue un rôle essentiel pour lever le voile sur un monde ancien. L'épouse du général, sa fille, sa petite-fille, la gouvernante, le garde du corps, tous sont porteurs d'une part de vérité. Chacun peut agir, et le fait. Les acteurs interprètent merveilleusement la profondeur de leur personnage et la cohérence absolue de l'ensemble est épatante. Pour dire les choses simplement, ce film est réussi et il nous transporte ailleurs, dans un ailleurs qui ne pourra que nous bouleverser, nous forcer à savoir, tout en nous permettant de garder notre part d'humanité. Le monstre, lui, n'est nullement ému, à aucun moment dans le film, et il abrite des disparus tant au dehors qu'au dedans. Encombré comme il est, il succombera nécessairement, et la justice optera pour une main du destin que l'on n'aurait soupçonnée !
Ah! Et puis j'allais oublier. Restez dans la salle après le film, longtemps, pendant que le générique se déroule longuement. Une chanson, une voix magnétique et une mélodie douce vous envelopperont pour vous laisser le temps de vous remettre de vos émotions en fin de projection. Une merveille...
LA LLORONA
Réalisateur : Jayro Bustamente
Scénario : Jayro Bustamente
Compositeur : Pascual Reyes
Directeur de la photographie : Nicolas Wong
Monteur : Gustavo Matheu, Jayro Bustamente
Casting : Maria Mercedes Coroy, Sabrina de La Hoz, Julio Diaz, Juan Pablo Olislager, Margarita Kénefic, Maria Telon, Ayla-Elea Hurtado,
Date de sortie France : 22 janvier 2020
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.