Aux dires de nombreux cinéastes, rien n’est plus difficile que de tourner une scène de repas... Pourtant le repas, le lieu-cuisine ou le restaurant sont des séquences incontournables dans le cinéma. Généralement écrin et prétexte à règlement de compte, dispute, séparation, ou déclaration d’amour !
J’ai sélectionné plutôt des films dans lesquels la cuisine charpente le récit, répare les cœurs, élève l’esprit.
Les lumières chatoyantes, l’éclat des cuivres et des ustensiles, la vapeur, la fumée envahissent la cuisine et accompagne la préparation sous les yeux inquiets de tous. La mise en scène virevolte, les sons crépitent, ça bout, mijote, fume, flambe ! Et enfin, la cuisine de Babette, généreuse et sensuelle, renverse le puritanisme, heurte le rigorisme de ses hôtes, qui d’abord récalcitrants et réprobateurs succombent finalement au ravissement gustatif et au plaisir. Les visages s’ouvrent, les querelles sont oubliées, l’émerveillement transfigure, l’austérité religieuse se transforme en messe gastronomique.
La cuisine comme lien entre l’esprit et le corps, hymne épicurien aux nourritures terrestres !!!
En étudiant le système Indien des Dabbawalhas, fourmillement quotidien de livreurs de repas préparés par les épouses ou par les restaurants, conservés dans des « lunchbox » -sorte d’empilement de boites métalliques - l’université de Harvard a découvert que seule une erreur de destinataire sur un million survenait. C’est sur ce résultat incroyable que se bâtit cette romance nuancée et jamais aboutie entre deux solitudes dans la mégapole de Bombay.
L’héroïne est une jeune femme au foyer, qui navigue entre la nostalgie à l’écoute des chansons d’amour qui lui parviennent de chez sa vieille voisine, et la tristesse d’être délaissée par son mari. Avec le vague espoir de lui plaire, elle lui concocte avec soin ses paniers-repas du midi qu’elle confie à ce fameux service de livraison. C’est là que survient l’erreur ! La lunchbox ne parviendra plus au mari qui ne la complimente jamais, un nouveau numéro de destinataire l’achemine sur le bureau d’un comptable veuf, bientôt à la retraite et plutôt morose.
Habitué aux plats ternes de son restaurant habituel, le comptable comprend l’erreur de destination et glisse un petit mot expliquant la confusion du livreur de repas, sans oublier de louer la saveur excellente du plat. Se noue alors une relation épistolaire qui, de simple et guindée au début, devient pudiquement plus intime et complice ; la lunchbox sert de boîte aux lettres où chacun va confier ses rêves, tenter de les réaliser, et remet en question sa vie et ses aspirations. Peu importe qu’une réelle rencontre advienne, les deux personnages ont appris la liberté !
Et les plats indiens préparés avec sollicitude et dont on sentirait presque l'arôme font le lien entre deux solitudes. La cuisine fait revivre un homme routinier et rigide, et libère une femme indienne. La cuisine déclenche l’émancipation des êtres. Tendresse, humour, émotion, plaisir gourmand, romantisme remplissent la lunchbox.
Tampopo est une jeune et pauvre veuve, qui tient avec difficulté une gargote pour routiers dans la périphérie de Tokyo. Ce genre de petit restaurant populaire se soit de fournir des Ramen aux clients. Hélas c’est une piètre cuisinière et elle se désespère d’atteindre un bon niveau ! Débarque Goro, sorte de cow-boy nippon improbable et gastronome, camionneur de son état, flanqué d’un jeune acolyte. Secondé par un ex-Maître de la nouille devenu clochard, Goro va enseigner inlassablement l’art du Ramen, afin que Tampopo devienne une experte. Car oui c’est tout un art, et cuisiniers et clients d’analyser les boulettes de gras qui surnagent sur le bouillon, la chute des oignons au fond du bol et la façon dont les algues se déroulent pour enlacer le tout. On écoute les bruits de cuisson, on sent les odeurs, on aiguise nos papilles à travers l’écran. Bref, on a faim et on envie tous ces goûteurs pour lesquels le temps s’arrête à chaque bouchée ! Manger est un acte sacré !
Cette ode au bonheur du palais est entrecoupée de saynètes loufoques qui toujours tournent autour de la nourriture, de sketches posant des questions existentielles comme : que manger en premier, le bouillon ou les nouilles ? Faut-il fixer du regard, tout en dégustant la soupe, les perles de gras ou les morceaux de porc? Comment manger avec classe des spaghettis ? Que commander dans un restaurant français?.. On rencontre une galerie de personnages étonnants, clochards du coin qui commentent avec gravité la qualité des restes trouvés dans les poubelles de restaurants, couple qui accompagne ses transports amoureux de toutes sortes de nourriture etc.
Ce film est une démonstration décalée et sans entraves de l’amour asiatique de la cuisine. Vif, rythmé, plein de trouvailles et de scènes parodiques parfois touchantes, ce film donne faim et fait rire ...
Cet article a été conçu et rédigé par Françoise Shah, fan de cinéma et de littérature.