Traverser le désert, de soi, d'un pays, d'une époque...
J'ai assisté à une semaine de projections de films, courts ou longs-métrages. C'était à l'occasion de la 58ème Semaine de la Critique de Cannes, de passage ici à la cinémathèque de Porto-Vecchio, en Corse du Sud. C'était un pur enchantement. Je n'ai pas vu tous les films, mais presque. J'ai pris le parti de faire plusieurs articles thématiques et vous parler des films que j'ai vus, réunis autour de ces thèmes, au lieu de vous en parler séparément.
Vous pourrez lire l'article dédié au thème de la famille. Ici je vous présente quatre longs-métrages réunis autour de la question de "se perdre et/ou se trouver". Très divers dans leur traitement cinématographiques, ils le sont aussi de par les pays dont ils nous parlent. Algérie, Maroc, Bosnie-Herzégovine, France, forment les paysages de ces histoires contées sur le grand écran. Souvent c'est la jeunesse qui est mise en scène. Mais les voyages initiatiques proposés sont tant intérieurs qu'extérieurs. Dans tous les cas c'est un apprentissage de la vie qui nous attend, et parfois, la rencontre d'un contexte particulier, au sein d'un pays et de son histoire. Humblement je remercie tous les réalisateurs pour m'avoir permis de voyager et de traverser à leur côté des déserts, physiques et psychiques...
Commençons par le plus long de ces quatre films, et peut-être le plus éprouvant. Abou Leila, d'Amin Sidi-Boumédiène nous fait littéralement traverser le désert, deux heures vingt durant. Deux hommes sont en voiture. On ne sait où ils se rendent, ni pourquoi. On comprend qu'une amitié d'enfance les rapproche. On comprend que l'un, le plus fort, souhaite venir en aide à l'autre, le plus faible. Mais on verra assez vite que fort ou faible, personne ne réchappe du poids de l'Histoire. Et c'est l'histoire récente, les événements de 1994 en Algérie qui a écrasé bien des jeunes sous son rouleau compresseur. Se perdre c'est devenir fou, se perdre c'est ne plus savoir s'orienter, se perdre c'est se réfugier ailleurs, en deçà de la réalité lorsqu'elle est dérangeante voire insupportable, surtout très insensée. Le film ne nous dira pas si, ni quand, ni comment ces jeunes hommes peuvent se retrouver. Parce que l'avenir est incertain. Mais il nous dit que leur quête est juste, et leur folie justifiée. Il leur faut un guide qui est introuvable, et ceux qui se déguisent en guide sont monstrueux, sont une incarnation du léopard des déserts qui arrache de ses dents le cœur de la jeunesse. Il nous dit aussi une chose terrifiante : que la faiblesse et la déroute individuelle prend son origine dans des travers de l'éducation. Une nation et un peuple peuvent être mal-menés et mal-guidés dès leur genèse...
Un peu plus légers, un peu plus riches en espoir, les deux autres longs-métrages m'ont également touchée, chacun à sa manière.
Le miracle du saint inconnu se situe au Maroc, dans un village né au cœur du désert. Un jeune homme a pris part à un cambriolage. Il cache le magot en plein milieu du désert. Pour cacher son gros lot, et être à même de le retrouver, il l'enterre et le déguise en tombe humain. Sorti de prison, cinq ans après, il revient sur les lieux chercher son avoir. Or un village s'est construit autour du mausolée du saint inconnu ! Ce film du réalisateur Alaa Eddine Aljem est extrêmement drôle. Avec humour et dérision il nous dépeint une société, ses hommes et ses femmes, ses notaires et ses influenceurs, ses gardes et ses sages. Il porte un regard acerbe mais attendri sur tout ce petit monde qui vit dans une illusion, qui se berce de ses illusions, et qui veille ardemment dessus. On peut se perdre par avidité, on peut se retrouver par foi, ou simplement par le fruit du hasard ! Le cœur généreux, et parfois simplet, est toujours récompensé. Jolie morale de l'histoire, qui n'empêche nullement une critique mordante de la société dépeinte.
Les héros ne meurent jamais, d'Aude Léa Rapin est un très joli film, déroutant aussi mais qui tisse son récit en partant de la solution. L'ennui, dans la vie, cette chose qui gâte le mental de la jeunesse et peut gâcher son avenir, se nomme l'Histoire. Qu'à cela ne tienne, on va la ré-écrire, autrement, et y donner un "Happy End" ! Joachim, est heurté un jour par la vraisemblance de sa vie antérieure. Il aurait été criminel de guerre, en ex-Yougoslavie. Dès lors, comment se regarder dans la glace, comment poursuivre son existence ? Ses amies, Alice et Virginie lui proposent de partir ensemble sur "les lieux du crime", aux environs de Sarajevo. Elles vont l'emmener là-bas, afin de l'aider à se retrouver, ou plus précisément trouver son autre, son personnage antérieur afin de faire la paix avec ce passé dérangeant. Ils partent avec leur caméra et leur micro car ils ont décidé d faire un film documentaire de leur périple. Ils seront détenteurs du scénario, des dialogues, des acteurs. Mais sont-ils détenteurs de la vérité ? Le hasard de leurs rencontres feront le film, celui que nous, spectateur,s voyons et celui qu'eux, acteurs, vivent. J'ai trouvé extraordinaire la manière dont ce film inverse les rôles. Ceux qui ont vécu la guerre civile en Bosnie-Herzégovine vont venir en aide à ce jeune garçon français. Qui est perdu, qui a besoin d'être aidé, qui va se retrouver au contact de l'autre ? Tous se perdent et se retrouvent, dans leurs échanges, du fait de leur rencontre. Et ainsi une vilaine histoire se transforme en une belle histoire. Qui d'autre que Le Cinéma sait faire cela ?!
Pour finir, parlons de J'ai perdu mon corps, film animé de Jérémy Clapin. Techniquement, c'est un film animé. Mais en réalité c'est simplement un film. À aucun moment, pendant que je le regardais, et que j'étais totalement absorbée par l'histoire qui se jouait sous mes yeux, je n'ai pensé être dans un monde dessiné, animé, imaginé, irréel. Et pourtant, nous avançons aux côtés d'une main. Elle est détachée de son corps, et vaillamment remonte le chemin vers celui-ci. Cette main a décidé de retrouver son corps, et d'agir dans le sens de son bien. Coûte que coûte elle y parviendra. Alors cette fois, le fait de s'être perdu n'est pas métaphorique, c'est chose physique et visible. Les retrouvailles sont nécessaires, mais encore nous faudra-t-il comprendre quand, comment, pourquoi cette main a perdu son corps. De cette question fatale dépendra le devenir du corps démuni. On nous raconte la vie d'un jeune homme qui a perdu ses parents dans un accident de voiture alors qu'il n'était qu'un enfant. Tant bien que mal il a avancé dans la vie depuis. Mais pour se réaliser, pour advenir, il lui faudra apprivoiser et transformer son destin.
Alors, qu'ai-je reçu, et retenu de l'union de ces films. Si l'on dépasse les contextes particuliers qu'ils nous invitent à connaître, si l'on laisse de côté la grâce qui enveloppe chacun de ces films, et que l'on accepte d'aborder un autre jour ailleurs la question de l'art cinématographique déployé dans tous... eh bien on pourra s'arrêter sur l'ingrédient commun à tous ces récits. Comment nos personnages s'en sortent-ils alors qu'ils sont démunis face au destin, à l'histoire de leur pays, aux horreurs qu'ils ont côtoyés ou qui les ont précédés ? La réponse tient en un mot : ENSEMBLE. Je constate que c'est l'accompagnement qui prime partout. Seul on ne s'en sort pas, mais accompagné par un ami on peut cheminer dans la vie, et continuer de cheminer dans la vie. C'est l'amour au sens large qui est célébré. Ce sentiment qui s'exprime lorsqu'on est solidaire de l'autre et qu'on le soutient, qu'on l'entoure, et qu'on cherche à lui faire traverser une mauvaise passe, un désert intérieur. Parce que se perdre, cela arrive à tout un chacun, se retrouver est chose plus exceptionnelle, et de ce fait sublime.
Je vous invite à consulter la page officielle de La Semaine de la Critique du Festival de Cannes pour plus de détail sur chacun de ces films.
Vous pourrez également consulter le numéro spécial du Journal de Kimamori consacré à cette 58ème Semaine de la Critique.
Un très grand merci à la cinémathèque de Porto-Vecchio, et à Charles Tesson, délégué général de la Semaine de la Critique, pour nous offrir de vivre ce grand moment, une semaine durant, chaque année.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.