Mille facettes de l'amour, désemparé ou polyvalent
J'ai présenté comme photographie en en-tête de cet article une image issue du film "Nuestras madres" du réalisateur guatémaltèque César Diaz. C'est parce que ce film m'a marqué. Mais c'est aussi parce que le visage de cette femme, son expression, sont intraduisibles. Elle ressent et vit des émotions complexes voire contradictoires. Être mère, serait-ce cela ? Être solide, responsable, cohérent, constant, fiable... est-ce cela, le sens de cette expression qui englobe mille sentiments... D'avoir été plongée dans la 58ème Semaine de la Critique de Cannes, d'avoir visionné tant de films, en si peu de temps, et tous si différents les uns des autres, a été un bonheur. J'en suis sortie en me disant que malgré tout certains thèmes revenaient dans plusieurs films. Parmi ces thèmes, j'ai noté qu'un bon nombre de films s'intéressaient à la famille et à son unité. J'ai réalisé que les archétypes existent parce qu'ils ont un sens, et que ce sens est emprunté à la réalité humaine. Cette réalité, seules les œuvres d'art savent la rendre, avec l'étoffe qu'elle mérite. Littérature, cinématographie... tout cela puise son inspiration dans les histoires de famille, empreintes de l'Histoire.
L'histoire de "Nuestras madres" est simple. Au Guatemala, comme dans d'autres pays d'Amérique Latine, il y a eu des "disparus". Mais c'est seulement maintenant qu'on va entreprendre de déterrer l'histoire ancienne, et donner une voix au passé, monstrueux. Un jeune garçon travaille dans l'organisation qui enquête sur les disparus et déterre, en vue d'analyser l'ADN des déterrés, rendant ainsi leurs morts aux vivants. Mais c'est une histoire difficile car alors les vérités enfouies remontent à la surface. Ce garçon est lui-même à la recherche de son père disparu. Ce qu'il va découvrir est plus complexe, plus perturbant que ce qu'il s'était imaginé.
Mais, une mère, est un être aimant. Et elle peut prendre mille visages. Je vous ai parlé du film colombien Litigante, de Franco Lolli, qui met en scène une mère de caractère, pas toujours facile. Et je vais vous parler d'une autre mère, mise en scène dans un film irlandais ahurissant : "Vivarium". Elle se retrouve, dans une situation totalement surréaliste, et contre sa volonté, à élever un garçon. Un être qui n'est pas son fils, qui n'est peut-être pas un humain, qui ne lui cause que des malheurs. Mais elle ne peut causer sa perte. Elle joue son rôle de mère. Le film est effrayant par certains aspects, fantastique et monstrueux, mais malgré tout j'ai trouvé qu'il constituait un formidable hommage à la mère, à l'archétype de la mère : elle protège et élève de manière inconditionnelle cet autre être en lui donnant priorité sur tout. "Vivarium" nous plonge dans un monde où tout est déshumanisé, où l'homme devient esclave du matériel et de l'accession au statut de propriétaire d'une maison, et où seul réside le sens du don de soi maternel.
Je vous ai parlé aussi en détail dans ces pages d'un autre film de la 58ème Semaine de la Critique de Cannes, Séjour dans les monts Fuchun. C'est merveilleux comme les différentes mères sont incarnées avec douceur et intégrité. La mère qui bannit sa fille, la mère qui comprend celles qui bannissent leur fille, la mère qui s'en va, la mère qui comprend toutes les mères, c'est à dire la grand-mère ! Cette fois nous ne sommes ni en Colombie, ni en Irlande, ni au Guatemala mais en Chine. Eh oui, trois continents et toujours la famille, la mère qui s'impose d'une manière ou d'une autre. Mais je ne pourrais clore cet article sans vous parler d'un film islandais où le personnage principal est un homme, un père, un grand-père...
Le film islandais "A white, white day" n'est pas facile à regarder. Il est brut et rustre. Il peut être un peu violent, un peu sanglant. Il est aussi drôle par moments, mais la scène très drôle c'est, par exemple, lorsque le grand-père raconte une histoire à sa petite-fille pour l'endormir. Eh bien il lui raconte une histoire qui fait peur, une histoire franchement effrayante. Et c'est la petite à la fin qui le gronde en lui rappelant qu'elle est une petite fille, et que de surcroît ce soir-là elle est malade ! Il n'y a quasiment aucune scène tendre dans le film, bien que nombreuses scènes soient attendrissantes. Le film nous bouscule et par moments m'a horrifiée. Nous avons cette fois l'absence de la femme, de la mère, de la grand-mère qui est dépeinte. La violence et la vengeance, la douleur et l'incompréhension poussent comme une herbe capricieuse. Rien ne va les arrêter. Car cet homme, père, grand-père, souffre. Il souffre l'absence de La Femme. Malgré tout c'est l'histoire d'une famille qui est mise en scène, et l'importance de la famille crève l'écran.
Voilà. Je vous en ai dit trop ou pas assez. Une petite, toute petite bribe de plusieurs films. J'espère vous avoir donné envie de les voir. Et nous en reparlerons. J'ai été baignée des jours durant dans l'obscurité et la forte luminosité d'une salle de cinéma où des films surprenants étaient projetés les uns à la suite des autres. Dans mon esprit tout se trouvait relié. La Colombie n'était plus très loin de l'Islande, Le Guatemala avoisinait l'Irlande ! Et des visions variées, des histoires aux couleurs marquées s'entrelaçaient. Moi qui suis une grande lectrice j'avais connu cela avec la littérature, en lisant trois, quatre, cinq livres en même temps. Je suis sortie de cette Semaine de la Critique du Festival de Cannes en me disant qu'il en allait de même avec le Cinéma. Cet ensemble de films m'a fait voyager, loin loin hors de moi, et précisément au même moment, m'a portée loin loin au-dedans de moi-même. Comme disent les chinois, l'intérieur et l'extérieur se rejoignent inévitablement, et leur confrontation, tout comme le rapprochement du proche et du lointain, donnent à voir l'image de la profondeur.
Je vous invite à consulter la page officielle de La Semaine de la Critique du Festival de Cannes pour plus de détail sur chacun de ces films.
Vous pourrez également consulter le numéro spécial du Journal de Kimamori consacré à cette 58ème Semaine de la Critique.
Un très grand merci à la cinémathèque de Porto-Vecchio, et à Charles Tesson, délégué général de la Semaine de la Critique, pour nous offrir de vivre ce grand moment, une semaine durant, chaque année.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.