Un musée à ciel ouvert : le village d’Orgosolo en Sardaigne

La défense de toute les causes - l'art en liberté !

De nos jours on parle beaucoup de "Street Art". Mais d'où vient cet art ? Où vit-il librement et depuis longtemps ? Qu'a-t-il à dire ? En déambulant dans le village d'Orgosolo, au cœur de la Sardaigne, dans la région de la Barbagia, on aura quelques soupçons de réponse. Je me suis rendue pour la toute première fois dans cette île dont j'aime tant les écrivains et surtout écrivaines. Par où commencer, quelle région, quelle côte privilégier... Nous nous sommes longtemps interrogé, pour finalement arrêter notre choix sur cette région centrale et traditionnellement forte d'un esprit sarde, la Barbagia. Je ne peux faire une chronique ici de ce voyage. Mon désir est simplement de vous transmettre l'immense joie que fut la mienne le jour où je me suis laissée perdre dans les ruelles sinueuses et pentues du village d'Orgosolo. Vous découvrirez un village musée où à chaque croisement, sur les murs de chacune des maisons, des cafés, restaurants, squares et places se trouvent des tableaux !

Vous le savez, le muralisme est un mouvement artistique né au Mexique après leur révolution de 1910. Diego Rivera, José Clemente Orozco et Alfaro David Siqueiros sont à l'origine de ce courant : un art collectif qui désirait être accessible pour et visible par le peuple. Leurs oeuvres ont dès lors couvert des murs de lieux publics. Ce mouvement artistique se propagea progressivement en Amérique du Sud et après le coup d'état chilien de 1973 il s'exporta en France et en Italie.
Lorsqu'on se promène dans les villes et villages de la Sardaigne on voit des peintures murales ici et là. Mais plusieurs villages sont réputés pour le grand nombre de murales (prononcé mouralès) qui s'y trouvent. Orgosolo semble être un village de murales par excellence. Le village, en soi, est une merveille. Il est si bon de s'y perdre, de monter et descendre au hasard des ruelles, de suivre les courbes naturelles des murs, de s'émerveiller de l'architecture énigmatique sans âge du lieu. Mais le plaisir en est décuplé par la découverte à chaque instant d'une nouvelle peinture murale. Les styles et les thèmes traités sont différents. Certaines sont anciennes, d'autres plus récentes. Toutes les causes sont défendues. La naïveté et l'inventivité des dessins sont contrebalancées par la force du texte qui les accompagne, tantôt une citation, tantôt un slogan, tantôt des bulles de paroles façon bande dessinée. Fortement colorées, bicolore ou en fondu sépia chacune des peintures murales nous laisse ébahi. Oui, une promenade hors du temps attend le visiteur à Orgosolo, le village de banditisme !

Village symbole de la tradition agro-pastorale de la Barbagia, Orgosolo est inséré dans le cadre naturel de la chaîne du Supramonte. L'écrivain Pascuale Cugia rapprochait le village d'un nid d'aigle, une forteresse gardée par la nature environnante. Vittorio De Seta le met en scène dans son film Bandits à Orgosolo pour dépeindre la vie rude des bergers et la méfiance des habitants envers l'Etat (d'où le banditisme sarde).
Naturellement on retrouve cette ferveur politique et sociale dans les images des murales. Le mode de vie traditionnel est mis en avant, et revendiqué. La justice sociale et la paix sont les valeurs portées haut en couleur.

     

      

Je vous le disais au début de cet article. Toutes les causes de tous les pays et de toutes les époques sont représentées et défendues dans les murales de Orgosolo. Mais revenons un peu en arrière. Le courant muraliste est né en 1969 à Orgosolo et c'est à partir de 1975 qu'il a été réellement instauré. Un certain Francesco Del Casino, siennois d'origine résidait à Orgosolo depuis une dizaine d'années. Il enseignait l'art et les arts manuels au collège du village. Il a invité ses élèves, un jour, à célébrer les trente ans de la résistance antifasciste. Mais il est allé plus loin que leur représentation sur des affiches. Il a proposé à ses élèves de reporter les thèmes dessinés sur papier vers un support plus durable, les murs du village. Le muralisme était né à Orgosolo et il allait perdurer. Génération après génération des artistes en herbe ont été formés par Del Casino. Des peintres locaux se sont associés à ces projets, et cette école muraliste d'Orgosolo s'est fait connaître. 
On reconnaîtra dans bien des peintures murales l'influence du cubisme, les styles de Picasso ou de Fernand Léger transparaissent. Le style et les techniques étaient volontairement simples dès le départ. Pas question de verser dans la fresque. Et lorsque les murales se font par trop anciennes, elles sont remplacées par de nouvelles. Parfois aujourd'hui elles sont rénovées. Avec l'arrivée de muralistes étrangers les styles artistiques ont brassé un éventail d'influences plus vaste. Mais une expression forte et un dire simple persistent.

     

     

      

J'aurais aimé présenter dans cet article encore des dizaines de peintures murales photographiées. J'aurais voulu vous présenter une vidéo de la promenade époustouflante qu'offre le village d'Orgosolo. Mais il vaut mieux vous encourager à vous y rendre quand vous en aurez la possibilité. N'oublions pas d'ailleurs que la gastronomie est savoureuse dans cette région. L'authenticité de la vie locale nous embrasse et nous réveille à nous-même. Et le café est exquis !
Et puis, visiter un musée à ciel ouvert, ce n'est pas chose courante. Rire et pleurer en s'arrêtant devant une image peinte au mur, est en revanche une expérience que j'ai aimé vivre et qui aura posé sa marque indélébile en moi.

     

      

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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