L'empreinte des mots, posée en l'homme ou par l'homme ?
La semaine dernière j'évoquais dans mon journal un lieu où je me trouvais et qui avait accueilli en 2007 "Le Nomade", une sculpture de Jaume Plensa. Eh bien, j'étais allée visiter le Musée Picasso à Antibes. Je vous en parlerai dans un article à venir car le lieu est magnifique, et son histoire m'a charmée. Or la photo que je vous avais envoyée montrait la sculpture monumentale de Jaume Plensa, installée, de manière définitive, sur la terrasse de la place Saint Jaume, en 2010, suite à une commande de la ville d'Antibes auprès de l'artiste. Notre "Nomade" a les yeux cousus sur la mer, depuis sa position majestueuse sur les remparts... A l'occasion de l'installation de l’œuvre en 2010, le musée Picasso d'Antibes avait organisé une exposition Jaume Plensa. Quatre-vingt onze de ses pièces réalisées entre 1998 et 2009 avaient été réunies, dont un grand nombre de dessins.
Mais l'objet de cet article n'est pas de vous présenter le Musée Picasso d'Antibes, ni de vous parler en détail de l'exposition qui y a eu lieu en 2010. Tant ce musée que les œuvres de Jaume Plensa me touchent. Mais ma semaine a étincelé sous l'égide d'un poème de Atiq Rahimi, extrait de son roman "Les Porteurs d'eau" dont je vous parlerai bientôt. Le voici :
« Au fond d'elle
Chaque goutte de pluie
Ramène sur cette terre basse
Un mot
Perdu dans le ciel. »
Ce poème s'est présenté comme un trait d'union qui reliait tout ce qui se présentait à moi, toute une semaine durant. Les livres que j'ai lus, les articles que j'ai parcourus, les installations d'art sur lesquelles je me suis arrêtée... tout me disait une seule et même chose : les mots, nous enveloppent jour et nuit ! Parce que vous et moi sommes de grands lecteurs et aimons les mots. Parce que les textes nous touchent et l'art aussi.
L'exposition de Jaume Plensa présentée à Antibes en 2010 était intitulée "L'âme des mots". On l'a questionné sur son travail basé sur les mots et lettres. Il a dit :
« J’ai toujours aimé l’idée de mots gelés, l’idée que quelque chose est en suspens dans l’air. … C’est un exercice de communication, comme envoyer un message dans une bouteille. Mais je ne sais pas qui trouvera la bouteille et où. »
À l'heure où nous vivons, dans cette ère numérique et virtuelle, nous baignons tous dans les mots et les lettres. Messages de toutes sortes, transmis via mille applications différentes sur internet et sur le téléphone, transitent de par le monde. Nous en recevons, nous en envoyons. J'écris cet article sans savoir qui me lira ni quand, ni où, s'il s'agira de quelques personnes ou de quelques milliers de personnes. Dans une heure je lirai moi-même un article, un SMS, un courriel. Aurai-je réellement compris la teneur du message, la demande ou l'attente de celui qui l'émet ?
C'est peut-être l'histoire de la goutte d'eau qui descend du ciel, qui contient un mot, ou encore celle des mots gelés, mis en bouteille. Quoi qu'il en soit, le langage structure notre pensée. Et les mots posent une empreinte en nous. Empreinte que nous redistribuons à notre tour. Naturellement les artistes s'inspirent de ce qui forme la pensée du monde pour créer, pour donner vie à leur art.
Jaume Plensa est né à Barcelone en 1955. Tout au début des années 2000 il a créé l'installation montrée dans la photo ci-dessus.
Un jeune indien, artiste de rue (Street Art) est né en 1984 à Delhi. Il a pour pseudonyme DUKA. Il a réalisé une installation artistique à son tour, en Inde, à Goa, en janvier 2019. Nous la voyons dans les photos ci-dessous.
L'installation s'appelle Théorie du Temps. Le principe est simple. Des mots et des phrases sont insérés dans un filet de pêcheur qui est tendu au-dessus d'une rue. Le soleil éclaire la rue du matin au soir, et projette l'ombre des mots sur le sol. Les habitants et visiteurs marchent dans la rue baignés de ces lettres, et peuvent les lire au sol, s'ils le désirent. On peut y lire par exemple :
Le temps file sur nous mais son ombre traîne derrière.
Le temps produit des merveilles
Le temps est une illusion.
Le temps est bien lent pour ceux qui attendent.
Avec le temps viendront les explications.
Jaume Plensa parlait de bouteille à la mer, et sa sculpture érigée sur les remparts de la vieille ville d'Antibes scrute l'horizon. Daku est peut-être plus terre à terre mais ses mots ressemblent bien à une bouteille à la mer. Ce sont des mots si souvent vus, entendus et répétés qu'il ne vaut peut-être même pas la peine de s'y arrêter. J'aurais été curieuse de voir si les marcheurs passaient leur chemin ou s'ils s' arrêtaient pour lire ces mots, inscrits dans une écriture latine qui n'est peut-être pas leur alphabet natif.
DAKU est-il hanté par l'âme des mots ; Jaume Plensa à l'inverse est-il obsédé par le temps et une théorie qui l'éclairerait ?!
Il me semble que les artistes, tout comme les écrivains, ne font que répéter et refaire ce qui a déjà été fait. Tout comme les hommes vivent chaque jour en posant le pas dans ceux de leurs prédécesseurs !
Je vous invite à regarder la vidéo ci-dessous qui montre en accéléré une journée de l'installation de DAKU : le soleil tourne et les mots se déplacent sous son éclairage en pente douce.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.