C’est bien connu, pour dessiner un mouton on commence par esquisser l’éléphant, voire un homme à tête d’éléphant !
Vous le reconnaissez, bien-sûr. C’est Ganesh ou Ganesha si l’on préfère. Dieu de la mythologie hindoue, gardien des portes, patron de l’enseignement, des arts et des sciences en général. Il est également le dieu des voleurs. Mais cela ne nous étonnera guère car si l’on pense à Hermès, mieux connu de nos contrées, on se remémore qu’il est le dieu tant de la communication que des voleurs, des joueurs invétérés, menteurs, farceurs, voyageurs ; il est celui qui ouvre les portes…
Tous ces attributs n’illustrent, après tout, que des modes différents de passage d’un état à un autre, d’un « je » à un autre. Et ce dieu amusant, ce Ganesh qui n’aime pas les orgueilleux et les arrogants veille sur tous ceux qui ne craignent pas de pousser les limites du possible.
Ganesh est une de mes figures fétiches préférées parce qu’il est le scribe de La Grande Histoire de l’Humanité, connue également sous le nom de Mahabharata, épopée indienne plus vaste que tous les océans réunis, écrite en vers sanscrits.
Mais qui est donc ce Ganesh, d’où vient-il ? Il n’est rien de moins que le fils de Shiva et de Parvati (que l’on nomme aussi Durga, Kali ou Shakti selon les formes qu’elle prend).
Dans le panthéon hindoue nombreux sont les dieux, et il en est bien des majeurs. Mais pour simplifier quelque peu le propos, on peut se recentrer autour du triangle formé de Brahma, de Shiva et de Visnu. Brahma dort la plupart du temps, et n’ouvre un œil que tous les quelques milliers de millénaires pour avaler et recracher-recréer l’univers entier. Visnu, connu également par son avatar Krisna, est le dieu du maintien. Et pour équilibrer les forces, Shiva est le dieu destructeur, protecteur des ascètes, naturellement…
Venons-en à la naissance de notre dieu à tête d’éléphant.
Voilà qu’un matin, alors que Shiva est en train de courir la forêt et s’adonner aux plaisirs de la chasse, Parvati se lève de sa couche impériale, décidée à s’offrir un bon bain parfumé, quand bien même elle se trouverait seule dans cette cabane abandonnée au coeur de l’espace sylvestre. Elle donne donc naissance à un enfant, immédiatement rendu grand garçon vaillant et valeureux. Je vais prendre un bain, mon fils, lui dit-elle. Je te confie la garde de cette cabane : que personne ne franchisse cette porte, tant que je n’ai pas terminé de prendre mon bain, je compte sur toi mon fils. La voilà donc plongée dans le bain de ses pensées et les vapeurs de ses créations et idées fantastiques, parfumées, salées, sucrées et épicées.
Ganesh est posté devant la cabane lorsqu’arrive un personnage fort impressionnant et bien peu poli. De son bras armé le voilà qui sans prendre de gants fait le geste d’écarter ce bonhomme qui se tient devant l’entrée de sa maison secondaire favorite.
– Tu n’entreras point, ni toi ni personne, ami ; que cela te plaise ou non, énonce clairement notre vaillant et valeureux nouveau né.
– Je n’ai pas de temps à perdre avec toi, moustique, laisse-moi en paix et va jouer ailleurs.
– Je n’ai qu’une parole. Tu n’entreras point, ami.
C’en est trop pour Shiva qui met à feu et à sang des continents entiers pour bien moins que cela. Il dégaine son sabre et tranche la tête de cet écervelé posté devant chez lui à faire le gardien des lieux.
À peine a-t-il poussé la porte qu’il se retrouve face à son épouse bien-aimée qui elle, le balaie d’une main parfumée à l’essence de rose gingembrée,
– Malheureux, qu’as-tu fait ? s’écrie-t-elle
– Ah lui ?
– Tu as tué ton fils ! Je ne pourrai jamais te le pardonner…
Et voilà que Parvati se prépare à prendre une de ses formes hideuses et effrayantes. Shiva se peut être colérique mais nulle colère n’égalera jamais celles de son épouse bien-aimée, de puissance égale à lui mais bien plus cruelle lorsque cela lui prend de se fâcher. Shiva voit déjà le monde chavirer, ciel et terre s’unir pour briser le front de l’univers.
– Je vais lui redonner vie, ma chérie, t’inquiète. Le premier animal qui passera par là m’offrira sa tête pour ce faire.
Et ce fut un éléphant qui passa par là. L’éléphant à la trompe et à la mémoire longues. Et ce fut donc ainsi que se déroula la naissance de Ganesha, né par deux fois, d’abord par l’énergie de Shakti, ensuite par la volonté de Shiva. Il appris alors à ne plus commettre d’erreurs, jamais. Dès lors il eut le savoir instantané de toutes choses qui forment le monde et fut doté de la sagesse permettant de discerner quelles portes il fallait ouvrir et lesquelles devraient rester closes. Dès lors il sut mieux que quiconque retirer les obstacles des chemins de ceux-là et enfreindre la voie de ceux-ci…
Bienvenu à Ganesh, et à sa monture, la souris Mûshika!