Nous nous étions quittés en juin avec mille idées de lectures en tête, et avions décidé de laisser passer le coeur de la saison estivale avant de nous réunir de nouveau. Voilà que nous nous sommes retrouvés en cette rentrée littéraire, enchantés de partager ensemble nos expériences de lectures de ces longs mois de juillet et d’août… A l’heure du thé, réunis autour de petits gâteaux et de boissons chaudes nous nous sommes laissé adoucir par l’atmosphère feutrée de la bibliothèque et pour notre plus grand bonheur, (ou notre plus grand malheur !) avons évoqué bien des écrivains et romans délectables.
En préambule nous avons rappelé le principe de ce club de lecture : nous nous retrouvons une fois par mois. Il n’y a pas de livre imposé. Chacun présente le livre de son choix et partage avec les autres ce qui l’a touché dans sa lecture récente. Il n’y a aucune obligation de présenter un livre : on peut venir simplement pour le plaisir d’écouter les autres et faire des découvertes. Un compte-rendu est envoyé à tous les participants à la suite de chaque réunion mensuelle. On peut y retrouver les références de tous les livres évoqués ainsi que les articles rédigés par Yassi sur les livres qu’elle a lus. Les participants du club de lecture peuvent rédiger un article sur les livres qu’ils ont lus et présentés, Yassi les publiera avec plaisir dans son blog. En fin de chaque compte-rendu (et donc de ce document) apparaît la liste des livres qui ont été évoqués et qui sont disponibles à la bibliothèque pour les adhérents.
Yassi a pris la parole pour présenter et commenter l’actualité littéraire internationale, française et corse : Le Prix Nobel, le Man Booker Prize et les rencontres littéraires du Festival Libri Mondi célébré à Bastia.
Elle a évoqué d’abord l’annonce qui venait d’être faite le jour même du Prix Nobel de la littérature 2017. C’est nul autre que le grand Kazuo Ishiguro qui a été retenu pour cette distinction suprême. On a très vite compris que Yassi chérissait cet écrivain de longue date. Pour décrire son style la secrétaire général du Nobel a dit « mélangez Jane Austen et Franz Kafka, ajoutez-y une pointe de Proust et vous aurez Kazuo Ishiguro » ! Yassi a dit, plus simplement, qu’il était impossible de décrire la plume de cet écrivain ; il fallait le lire. Pour avoir un aperçu de son oeuvre elle invitait tous et toutes à se plonger dans
- Le géant enfoui,
- Auprès de moi toujours,
- Les vestiges du jour,
- Lumière pâle sur les collines.
Un excellent film a été tiré de « Les vestiges du jour », un autre, moins excellent, de « Auprès de moi toujours »…
Yassi nous a fait part ensuite des rencontres littéraires qui s’étaient déroulées à Bastia, dans le cadre du Festival Libri Mondi les 22, 23 et 24 septembre 2017 dans les Jardins du Palais des Gouverneurs Miguel Bonnefoy, Glles Leroy et David Vann ont été les écrivains qui ont le plus retenu son attention.
Miguel Bonnefoy est un jeune écrivain franco-vénézuelien qui parle comme un conteur d’histoires et écrit comme un Chateaubriand ! De lui on connaît Le Voyage d’Octavio, Jungle et son tout dernier livre Sucre Noir qu’il était venu présenter : une histoire moderne de piraterie.
Gilles Leroy est bien connu pour son livre Alabama Song qui a remporté le Goncourt 2006, récit qui racontait Zelda Fitzgerald, compagne de l’écrivain F. Scott Fitzgerald, personnage haut en couleur et riche en contrastes. Son dernier livre, publié en cette rentrée littéraire, Dans les Westerns, évoque la période du McCarthysme aux Etats-Unis et met en scène des acteurs de Hollywood effrayés par la persécution communiste, cette « chasse aux sorcières » en cours dans le pays. Ce qui se passait dans les coulisses de ce monde Hollywoodien en dit long, d’après Gilles Leroy, sur bien des phénomènes très actuels et universels.
David Vann, quant à lui, est un écrivain très célébré par le monde littéraire anglo-saxon. Originaire d’Australie, vivant en Nouvelle Zélande et ayant grandi en Californie, cet homme à la jeunesse éternelle et à l’humour tendre écrit des drames psychologiques, fort de sa plume d’excellence. Toujours modeste il nous dit qu’il était bien facile pour lui de devenir écrivain étant donné la matière littéraire vive dans sa famille, riche de 5 suicides et un meurtre !!! Son oeuvre peut être abordée en se plongeant dans son roman le plus connu : Sukwann Island.
Pour finir sa présentation de l’actualité littéraire Yassi nous a montré quelques uns des romans finalistes du Man Booker Prize 2017. Elle a surtout fait un long aparté sur le deuxième roman de l’écrivaine Arundhati Roy, The Ministry of Utmost Happiness, écrit vingt ans après son premier roman et best-seller mondial (traduit en quarante deux langues) Le Dieu des Petits Riens. Tous ces romans seront traduits et publiés en français courant 2018. Et Yassi nous recommandait par avance Autumn d’Ali Smith et Exit West de Mohsin Hamid. Et en attendant elle a parlé aussi du précédent roman de Mohsin Hamid Comment s’en mettre plein les poches dans un pays émergeant d’Asie »
Monique a alors pris la parole pour nous présenter deux de ses lectures estivales : Le jour d’avant de Sorj Chalandon et La Tresse de Laetitia Colombani. Elle a été enchantée par le premier et plutôt déçue par le second, fourmillant de clichés.
Le livre de Sorj Chalandon s’appuie sur un fait historique, la catastrophe minière de 1974 à Lens-Lévin. Le protagoniste, qui a perdu son frère dans la mine effondrée, revient sur les lieux quarante ans plus tard pour y livrer sa vengeance. Le livre, fort d’un réalisme à la Zola dans la description de la vie minière, s’interroge sur la grande question « doit-on, peut-on, faire acte de justice par soi-même ? ». Mais Monique a surtout souligné la force de ce roman dans sa capacité à nous ébranler dans nos convictions en toute fin du récit : l’écrivain nous donne subitement à voir les choses sous un autre prisme. La surprise est si totale que l’on revient en arrière pour tenter de mieux comprendre…
Chantal, nouvelle venue au club de lecture, nous a alors présenté le dernier roman de Ken Follet, La Colonne de Feu, et Mille Femmes Blanches de Jim Fergus ré-édité récemment – la première parution en français datant de 2002.
Elle nous a fait part de sa déception du dernier Ken Follet, moins bien écrit que ce qui lui est coutumier. Elle a précisé tout de même que le livre se lisait facilement et qu’il était intéressant de se plonger dans cette époque du règne de Marie Stuart.
L’incroyable, en revanche, dans l’histoire romancée par Jim Fergus est qu’elle est vraie : En 1874, à Washington, le président Grant accepte la proposition incroyable du chef indien Little Wolf : troquer mille femmes blanches contre chevaux et bisons pour favoriser l’intégration du peuple indien. Si quelques femmes se portent volontaires, la plupart viennent en réalité des pénitenciers et des asiles… Un livre à lire assurément !
Naturellement les discussions autour du livre de Jim Fergus nous ont ramené à l’Amérique d’aujourd’hui et aux problématiques raciales qui refont surface. Et nous avons reparlé du livre de Colson Whitehead, Underground Railroad, publié dans sa traduction français cet été, par les éditions Albin Michel. Rappelons que ce livre a gagné les prix littéraires américains les plus prestigieux et qu’il relate l’histoire d’une jeune esclave qui tente d’échapper à son sort en fuyant d’un Etat américain à un autre par la voie de ce réseau souterrain qui a réellement existé autrefois. Mais Chantal nous a recommandé aussi le livre de Philippe Meyer : Le Fils.
Nos constats désolés sur le retour du racisme aux Etats-Unis nous ont mené vers le phénomène décrit par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury où la haine de l’autre prend sa source dans la haine de soi. Et voici le fil qui nous a projeté dans les livres de Léonor de Récondo.
Carmela et Marie-Jeanne avaient toutes deux lu le dernier roman de cette écrivaine, publié en cette rentrée littéraire : Point Cardinal. Ce livre traite précisément de la démarche lente, longue et difficile de l’acceptation de soi. Comme le dit la chronique du site de critique littéraire Babelio : » Avec des phrases limpides, des mots simples et d’une poignante justesse, elle trace le difficile chemin d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière. Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d’être soi. »
Nous étions plusieurs dans l’assemblée à avoir lu les précédents romans de Léonor de Récondo (Amours et Pietra Viva). Et nous étions toutes d’accord sur la beauté de la plume de cette écrivaine et sur la profondeur de ses analyses délicieusement fondues dans l’histoire contée. Yassi et Viviane notamment avaient adoré Pietra Viva qui met en scène Michel-Ange durant ce bref laps de temps qu’il passe avec les carriers pour sélectionner ses blocs de marbre du Carrare en vue de la création du tombeau du Pape Jules II. Il traverse une transformation intérieure profonde et refait place à l’Amour dans son coeur, cela même qui va lui permettre d’insuffler une âme à ses sculptures de marbre…
Eh oui, nous nous étions raconté tout cela sans voir le temps passer, et nous n’en étions qu’à la moitié de notre réunion mensuelle !
Et comme pour marquer une pause ou résumer tout ce qui venait d’être imaginé, pensé et ressenti Viviane nous a lu une citation entendue à la radio où Jean-Marie Gustave Le Clezio avait fait référence au livre de Pietro Bartolo et les mots de Martin Luther King :
Nous avons appris à voler comme des oiseaux,
et à nager comme des poissons
Mais nous n’avons pas appris l’art tout simple
de vivre ensemble comme des frères.
Florence s’est proposé alors de nous parler de quelques unes de ses lectures de l’été et de la rentrée : En attendant Bojangles de Olivier Bourdeaut, Frappe-toi le coeur d’Amélie Nothomb, La Chambre des Époux d’Eric Reinhardt, La vengeance du Pardon d’Eric Emmanuel Schmitt et Patients de Grand Corps Malade.
En attendant Bojangles est ce mystérieux premier roman écrit par cet homme jeune et inconnu Laurent Bourdeaut, qui a remporté bien des prix et reçu les éloges de tant de critiques, publié par la jolie maison d’édition Finitude. Le narrateur raconte sa vie de famille faite d’étincelles et de magie de par la folle histoire d’amour de ses parents. Or on découvre au fil du récit que la mère est réellement emportée par la folie clinique, espace où son mari la suit infailliblement, par amour. Le récit peut être perturbant ou choquant nous a dit Florence mais in fine la beauté du roman parvient à nous conquérir.
Dans Frappe-toi le coeur Amélie Nothomb met en scène une relation destructrice mère-fille. Mais là encore on apprend à rentrer dans la subtilité et la complexité de l’être humain où la destruction n’est pas synonyme de manque d’amour.
Yassi en a profité pour faire une parenthèse sur le livre de Eva Ionesco (Innocence) paru en cette rentrée littéraire qui détaille la relation perverse qu’elle a vécu avec sa mère. Elle a été l’objet d’un usage pornographique forcené déployé par sa mère. Simon Liberati, le compagnon d’Eva avait déjà raconté les faits dans son roman paru l’année dernière et qui portait pour titre Eva. Ainsi Eva a trouvé la force d’aborder directement le sujet. Innocence est reçu par la critique comme une très belle oeuvre littéraire.
La Chambre des Epoux, dernier roman d’Eric Reinhardt, paru également en cette rentrée littéraire, raconte l’expérience vécue par l’auteur d’accompagner son épouse lors de son cancer. Il écrit le livre à grande vitesse, comme pour contraindre le sort à libérer son épouse de la maladie. Or une fois qu’elle est guérie il la quitte pour partir accompagner une autre femme atteinte du cancer ! Encore une histoire qui peut paraître choquante voire inacceptable. Mais Florence poursuivait dans sa démarche de tolérance absolue. « Au lieu de juger j’ai continué le livre et ai fini par comprendre cet homme, ce qu’il avait traversé et sa façon à lui de gérer ce vécu émotivement déstabilisant ». A la question de Yassi « recommanderais-tu ce livre », elle a répondu « oui, le texte est beau, des phrases lumineuses jalonnent le récit et en cela on ne regrette pas de l’avoir lu ».
La pire vengeance, le plus glacé des plats que l’on pourrait savourer, serait-il le pardon ?! Voici la question sur laquelle se penche Eric Emmanuel Schmitt dans son recueil de nouvelles La Vengeance du Pardon. Et ses récits, d’après Florence, sont bien construits et percutants. Il nous démontre comment, contre toute attente, le pardon peut être une arme effrayante d’efficacité… Encore un livre à lire !
Florence nous a parlé finalement du livre du slameur Grand Corps Malade, Patients, dont on peut également voir le film sorti récemment en grand écran. L’expérience vécue par ce sportif de haut niveau qui se retrouve tétraplégique du jour au lendemain est extraordinaire. La force d’optimisme dont il fait preuve pour vaincre son handicap est remarquablement présente dans le livre. Mais il n’en fait pas un récit nombriliste, bien au contraire. Yassi nous disait comme elle avait été stupéfaite de découvrir la musique du slameur, un vrai poète, d’après elle…
Pour clore notre rencontre Yassi a repris la parole pour nous présenter deux de ses livres préférées de l’été. Tous deux publiés de longue date mais qu’elle avait été enchantée de découvrir enfin : Là où les tigres vivent chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès et Le facteur émotif de Denis Thiérault. Le premier est un pavé qui explore les méandres du Brésil et au passage ceux de l’âme humaine, le deuxième perce le mystère des haïkus japonais sur la base d’une histoire drôle et mouvementée au premier abord banale et contemporaine. Notons la dernière parution de Jean-Marie Blas de Roblès en cette rentrée littéraire sous le titre Dans l’épaisseur de la chair.
Emerveillés de ce vaste voyage que nous venions de faire au fil de nos récits de lectures nous avons conclu sur la magie de la création littéraire et de la part qu’y joue le lecteur. Chaque lecteur revisite et réinvente un livre par le regard personnel qu’il y porte… Et Yassi n’a pu faire autrement que d’adhérer à cette idée en y apportant une illustration extraite du merveilleux livre Le Cercle Littéraire des Amateurs d’Epluchures de Patates d’Annie Barrows et de Marie Anne Shaffer.
Notre prochain club de lecture est fixé au vendredi 27 octobre à 16h à la bibliothèque de Porto-Vecchio et dorénavant nos réunions mensuelles se tiendront toujours le dernier vendredi de chaque mois à 16h.
Voici la liste des livres évoqués dans ce document et que vous pourrez trouver à la bibliothèque de Porto-Vecchio :
– Le dieu des petits riens d’Arundhati Roy,
– Alabama Song de Gilles Leroy,
– Sukwann Island de David Vann,
– Le jour d’avant de Sorj Chalandon,
– La tresse de Laetitia Colombani,
– Mille femmes blanches de Jim Fergus,
– La Colonne de feu de Ken Follet,
– Point Cardinal de Léonor de Récondo,
– Pietra Viva de Léonor de Récondo,
– Frappe-toi le coeur d’Amélie Nothomb,
– Amours de Léonor de Récondo,
– La chambre des époux d’Eric Reinhardt,
– La vengeance du pardon d’Eric Emmanuel Schmitt,
– Eva de Simon Liberati,
– Innocence d’Eva Ionesco,
– Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès,
– Le facteur émotif de Denis Thiérault,
– Le cercle littéraire des épluchures de patates d’Annie Barrows et Marie Ann Shaffer,
– et prochainement les livres du Prix Nobel Kazuo Ishiguro.
Voici la liste des livres sur lesquelles Yassi a rédigé un article dans son blog :
– Le géant enfoui de Kazuo Ishiguro,
– Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro,
– Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro,
– Comment s’en mettre plein les poches… de Mohsin Hamid,
– The Ministry of Utmost Happiness d’Arundhati Roy,
– Autumn de Ali Smith,
– Exit West de Mohsin Hamid,
– Le Voyage d’Octavio de Miguel Bonnefoy,
– Underground Railroad de Colson Whitehead,
– Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès,
– Le facteur émotif de Denis Thiérault.
Il vous suffit de cliquer sur un de ces titres pour être renvoyé vers l’article en question. Tous les articles du blog sont rédigés en français même lorsque le livre n’a pas encore été traduit et publié en France.
Vous pourrez également trouver ici l’article comportant le détail sur tous les finalistes du Man Booker Prize 2017 (en cliquant sur la partie bleutée du texte).
Les illustrations présentées dans l’article (en dehors des couvertures de livres et photos d’écrivains) sont les oeuvres de :
– Hengki Koentjoro,
– Pang Jiun
– Cromo Folia,
– Michel-Ange,
– Antony Gormley,
– Koukei Kojima.
Vous pourrez écouter :
- Jean-Marie Gustave Le Clezio et l’émission radio dont Viviane nous a parlée en cliquant ici : https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-05-octobre-2017
- Cynthia Fleury parler du courage en cliquant sur le lien suivant https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/you-can-be-heroes-avec-cynthia-fleury-et-fabrice-humbert
Rappelons aussi que Viviane nous a invité à venir écouter Wanda Morin présenter son livre « Quand les tableaux se mettent à tomber » le vendredi 20 octobre à la bibliothèque.