« Si tu trouves une fourche sur la route, prends-la »
J’ai lu récemment un article expliquant que les actes de violence – tous pays confondus – avaient baissé, contrairement à ce que l’on pourrait penser. En revanche l’homme serait devenu plus sensible à la violence en général, simplement parce que davantage exposé aux exactions et brutalités du fait des technologies modernes de l’information et de la communication.
Je n’ai pas réellement d’avis sur la question. Je constate néanmoins que les livres récemment publiés et primés que je lis me confrontent de plus en plus souvent à l’affreux, au répulsif et au dérangeant. Les auteurs semblent ne plus voir de limites à l’inacceptable indicible effroyable ! Ce constat est particulièrement vrai pour les écrits anglophones.
Je n’oublie pas le fameux kōan zen :
« Si tu trouves une fourche sur la route, prends-la ».
Mais malgré tout je m’interroge. Je me dis que ce serait davantage l’insensibilité croissante de l’Homme qui l’inviterait à rechercher le contact incessant de la laide vilénie, de l’insupportable qui retourne l’estomac et du féroce qui affole le coeur. Car, sans cela, comment expliquerait-on le grand succès de tous ces livres qui remuent sans cesse le couteau dans la plaie ?!
Le feu et l’eau ne se combattent pas dit la sagesse chinoise ancienne. Le yin et le yang sont des principes complémentaires garantissant l’équilibre de l’univers nous enseigne-t-on. Soit, mais vais-je chérir la noirceur et aimer l’injustice pour autant? Vais-je être jour et nuit animée par le désir de voir la sorcière combattre la princesse, lui donner des coups de pied et lui arracher les cheveux ?!
C’est en contemplant cette photo prise par ma soeur que je pus recouvrer la sérénité et discerner une lueur d’espoir quant à la finalité des tendances actuelles, très universellement partagées. Car qui mieux que le papillon pourrait nous parler de l’alliance de la lumière et de l’obscurité ? La pénombre du cocon forme le papillon, lui offre le temps et le cadre nécessaires à son développement. La caresse du soleil, la grande lumière du jour viendront ensuite l’exposer au monde pour l’éveiller à lui-même et à sa nature. La beauté de cette transformation réside peut-être dans le fait qu’à l’intérieur du cocon il est déjà un futur papillon qui couve son intention d’être ; d’être soi.
En ce mois de septembre j’aurais vécu le meilleur et le pire, j’aurais ressenti le calme parfait et l’agitation absolue, j’aurais été merveilleusement accompagnée et affreusement mal entourée! J’aurais été tout à la fois statique et dynamique, voyageuse-aventurière et pantouflarde-peinarde ! Un pays me crache, un autre m’avale, un troisième m’héberge et un quatrième demain me bercera…. Mes lectures en font de même : elles portent et couvent mes vécus présents et à venir en m’enrobant et m’ensemençant de mots surprenants, du plus doux au plus acerbe, du plus fin au plus revêche. La seule chose qui compte véritablement est notre rencontre avec un peu d’humanité. Et ces livres que je lis, quand bien même très affreux par moments se tissent par la grâce de la sensibilité et de la vulnérabilité – grandes faiblesses qui constituent et caractérisent l’Homme. Alors je me laisse toucher par la splendeur parfaite et par l’insensé formidable des motifs tracés sur les ailes du papillon. En ce faisant j’apprends à chérir l’humanité sous tous ses atours, peints par les écrivains d’ici et d’ailleurs…
Alors pour conclure embrassons un autre joli kōan zen :
« L’arbre qui tombe dans la forêt, fait-il du bruit si personne ne l’entend ?
Et voici mes lectures du mois de Septembre 2013 qui ont engendré ces réflexions :
- C’est fort la France! de Paule Constant, éd. Gallimard
- L’énigme du retour de Dany Laferrière (Prix Médicis 2009), éd. Grasset
- The Orphan Master’s Son de Adam Johnson (Prix Pulitzer 2013), Random House
- Le chemin des morts de François Sureau, éd. Gallimard
- La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, éd. Zulma
- Le rire du grand blessé de Cécile Coulon, éd Vivane Hamy
- We Need No Names de NoViolet Bulawayo (finaliste Man Booker Prize 2013), Chatto&Windus et Little, Brown and Co.
En rédigeant cet article, j’ai eu constamment présents à l’esprit deux autres livres anglophones lus cette année :
- En même temps toute la terre et tout le ciel de Ruth Ozeki, éd. Belfond
(finaliste Man Booker Prize 2013), et - The Garden of Evening Mists de Tan Twan Eng, Myrmidon Books Ltd.
(Man Asian Literary Prize 2013)