Le hasard a voulu que je lise plusieurs livres ces derniers mois où l'intrigue était basée sur des rapports de voisinage. Les personnages principaux étaient pour la plupart des voisins de longue date. Parfois il arrivait qu'un nouveau voisin emménage et apporte une transformation radicale, souvent il s'agissait d'incidents logistiques qui étaient à l'origine de la transformation à venir. Toujours, des amitiés ou des inimitiés de longue date existaient entre les voisins historiques. Le contexte global était différent d'un roman à l'autre : un hameau isolé dans la nature ou une grande ville, la Suède ou l'Afrique du Sud. Et pourtant, la chose essentielle sur laquelle travaillait l'écrivain était identique. Alors je me suis demandé ce qu'était cette chose essentielle et universelle. Je me suis interrogé sur la raison ayant poussé ces auteurs à explorer les rapports de voisinage. Et ce que nous, lecteurs, allions y trouver à priori. A vous de me dire, après avoir lu l'article et peut-être ces livres - voire d'autres livres qui explorent les mêmes thèmes - ce que vous en pensez !
Vieux, râleur et suicidaire,
LA VIE SELON OVE
(A man called Ove)
Fredrik Backman
Traduit du suédois par Laurence Mennerich
Presses de la Cité, 2014 (v.o. 2012)
Ce roman a été publié en 2013. Il est devenu un bestseller dans les colonnes du New York Times et s'y est maintenu durant 42 semaines. Le titre traduit et la couverture française peuvent faire un peu peur, mais il s'agit surtout d'une comédie, bien que grave. Je ne dis pas "comédie dramatique" car l'intrigue et la chute sont à mille lieues du drame. Ove est notre personnage principal. Retraité et seul, après avoir perdu son épouse bien-aimée, il décide d'en terminer avec la vie. Or des voisins emménagent justement à ce moment-là et démolissent son parterre de fleur à l'avant de la maison ! Peu avenant, notre Ove rechigne à traiter le problème, mais les choses ne vont pas se passer comme il l'avait prévu. Cette nouvelle voisine, enceinte, énergique et engageante ne va pas le laisser en paix ! Il va être obligé de se remettre à parler à ses anciens voisins aussi, et même à des jeunes qui jusque là lui cassaient les pieds. Au moment même où il voulait mettre fin à sa vie, en somme, une nouvelle vie commence...
LA VOISINE
Yewande Omotoso
Traduit de l'anglais par Christine Raguet
éditions Zoé, 2019 (v.o. 2017)
Finaliste Dublin Literary Award 2018
Yewande Omotoso est architecte de métier, mais désormais elle devient également une écrivaine sud-africaine reconnue. La Voisine est son deuxième roman. Il a été retenu dans la première sélection du prix britannique Bailey's Women Prize en 2017 et a été finaliste du International Dublin Literary Award cette année.
Dans ce roman elle aborde la problématique post-apartheid en Afrique du Sud tout un écrivant un roman très universel qui parcourt la vie de deux femmes d'âge mûr. Elles sont voisines depuis une vingtaine d'années. Femmes de caractère et ayant mené une vie professionnelle conséquente, elles sont pourtant radicalement opposées dans leurs visions des choses. L'une est noire, l'autre blanche et elles sont propriétaires de maisons situées dans une belle résidence de Cape Town. L'une décide de faire des travaux chez elle et l'incident se produit : l'entreprise de travaux détruit la façade avant de la maison de l'autre. Par une suite de hasards concomitants elles vont se retrouver à cohabiter pour une courte période. De cette confrontation leur optique et leurs rapports seront radicalement transformés.
L'HONNÊTE TRICHEUSE
Tove Jansson
Traduit du suédois par Marc de Gouvenain
éd. Actes Sud, 1982 (v.o. 1987)
Tove Jansson (1904-2001) est une écrivaine et dessinatrice suédoise très connue pour sa série de livres illustrés Les Moumines. Mais elle a écrit et publié aussi de très beaux romans et recueils de nouvelles. Dans une écriture simple, un style épuré, des dialogues percutants et un humour absolu elle dépeint la face cachée des êtres humains et leurs interactions. Elle intègre dans ses écrits les éléments de la nature, la faune et la flore. Ses personnages pourraient être vus comme archétypaux, or elle les met si joliment en scène que l'on peut les transposer dans tous contextes, autres que le paysage nordique où ils sont racontés. Ici nous sommes dans un petit hameau isolé, recouvert de neige. Tous les habitants se connaissent depuis toujours. Et ces deux femmes, l'une effrayante et l'autre la douceur même, n'ont à priori rien en commun. Contre toute attente elles vont progressivement se lier d'une amitié incompréhensible. L'une profite-t-elle de l'autre, détruit-elle l'autre ? Comme dans la vie les choses sont bien plus complexes, et donc in fine bien plus simples... Elles en sortiront simplement transformées, l'une ET l'autre !
Alors voilà, toute la thématique que j'ai envie d'aborder est résumée dans l'étiquette de présentation du roman de Yewande Omotoso ci-dessous :
"Aime ton voisin ? Plus facile à dire qu'à faire.
Les trois écrivains ici s'amusent à confronter des voisins qui sont radicalement différents. Chacun opte pour les différences qui sont les plus problématiques dans le contexte en question. Chez Fredrick Backman, Ove, vu comme un homme à l'ancienne aux idées étroites, va être confronté à une femme, enceinte, iranienne, ou encore un jeune garçon gai. Marion et Hortense, chez Yewande Omotoso, se différencient par la couleur de leur peau, élément tangible en Afrique du Sud. Katri et Anna Aemelin, chez Tove Jansson, sont socialement et matériellement aux antipodes l'une de l'autre : l'une habite la plus grande maison du village, l'autre est une orpheline prenant soin de son petit frère et peinant dans la vie. Encore une fois, ici, la différence relève du lieu : cette question de statut social et aisance financière est sensible dans un petit village.
Les trois écrivains cueillent aussi leurs personnages dans des moments où ils se trouvent dans une impasse. Ove ne trouve plus de raison de vivre, Marion et Hortense viennent de perdre leurs époux et doivent donner un nouvel axe à leur vie, Katri et Anna Aemelin ont toujours été seules, incomprises tant des villageois que d'elles-mêmes.
Tous ces personnages passent de la colère au désaroi. Ils sont coincés dans leur schéma habituel et ne parviennent plus à avancer dans la vie avec les modes d'action qui leurs sont coutumiers.
Eh oui, c'est le propre de l'homme d'évoluer, d'apprendre, de se transformer. Se transformer bien entendu ne veut pas dire changer, mais devenir réellement soi-même, se révéler, je pense. Or la créativité et le changement ne sont pas des choses faciles à atteindre seul. C'est en se confrontant à l'autre que l'on peut y parvenir. Voilà peut-être ce que nous disent Fredrik Backman, Yewande Omotoso et Tove Jansson.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
L'illustration présentée en haut de la page est une peinture de Jane Wooster Scott.