De temps en temps ressurgissent dans notre mémoire des lectures anciennes dont l’atmosphère ou le dire semble subitement résonner avec l’actualité du jour et nos pensées du moment. Je ne parle pas là des classiques, clés majeures et éternelles de compréhension du monde, non, je pense plutôt à des livres publiés il y a quelques années qui étrangement semblent avoir raconté ou exploré à l’avance ce qui allait se produire aujourd’hui…
Les événements récents de ce mois de janvier 2015 ont plongé tout un chacun, et surtout nous La France, à se replier sur soi pour interroger, explorer, comprendre cet incompréhensible qui s’est produit. La vente de livres en janvier 2015 a connu une très forte croissance, alors que traditionnellement c’est un mois creux pour le marché du livre. Les livres notamment sur l’Islam et le Coran ont rencontré une forte croissance de nouveaux lecteurs.
Comme vous tous j’ai écouté des débats, lu des articles, tenté de réfléchir aussi sainement que possible pour délier le vrai du faux dans cet ensemble de paroles et pensées qui m’ont entourées. Mais si je prends ma plume aujourdhui ce n’est pas pour vous livrer le fruit de mes réflexions qui n’ont pas encore atteint un âge de maturité acceptable. Non, j’aimerais simplement ressortir deux livres du fond des tiroirs.
Tout est parti d’une phrase que j’ai entendue dans une émission radiophonique. J’ai été interloquée. Ma pensée, mon être entier, un instant, se sont immobilisés, tels les personnages des sculptures de Giacommetti. S’entrouvrait là, soudainement, la possibilité de voir, de regarder les choses autrement.
Interrogé sur la tuerie de l’équipe de Charlie Hebdo et de la marche du 11 janvier, Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste d’origine Argentine (qui parmi bien d’autres activités anime des laboratoires sociaux dans les banlieues), dit, en abordant le thème du « sentiment d’apartheid » présent chez certains citoyens français, et « des conceptions absolument opposées » qui dès lors semblent se confronter :
Mes amis de Charlie étaient du même côté que les jeunes de banlieue qui dans les salles de prière cherchent un peu de dignité ; voyez ? C’est à dire qu’ils étaient du même côté ; et que de l’autre côté il y a ces terroristes toujours payés par ou manipulés par des États et qui sont toujours du côté du pouvoir. Là, c’est une pure tristesse.
Dès lors j’ai pensé à l’action des États, des dirigeants de pays, des gouvernants, des hommes de pouvoir plus généralement. Naturellement ils se positionnent comme les défenseurs de la république, de la liberté, et se présentent comme le bras qui va combattre le terrorisme (l’axe du mal disait un gouvernant américain). Mais si un instant l’on détournait le regard de la pièce de théâtre mise en scène par ces pauvres dirigeants, si un bref instant on se glissait dans les coulisses du pouvoir, tous pays confondus, tous types de régime et de structures étatiques confondus, qu’y verrait-on ?
Parce que bien entendu j’ai écouté un Gilles Kepel qui dans un autre débat retraçait les origines du djihadisme. Les djihadistes ont été créés, soutenus financièrement, armés, par un gouvernement américain afin de contrer l’Union Soviétique en Afghanistan dans les années 80… Je me suis rappelé aussi que la crise qui oppose aujourd’hui les diverses branches de l’Islam ou du monde musulman prend ses origines dans les positions, actions, influences occidentales, notamment de la France et de la Grande Bretagne, qui cherchaient alors à diviser les résidus d’un Empire ottoman, à annihiler l’union d’un monde arabe.
Je me suis remémoré bien d’autres choses encore, et c’est alors que me sont revenus en tête deux livres publiés ces dernières années qui nous donnent à voir les coulisses du pouvoir, et l’inconséquence des « Hommes de pouvoir ».
Le premier est un thriller fantastique et apocalyptique : « Noon Moon ». Écrit par Percy Kemp, un écrivain de père britannique et de mère libanaise, doté d’un humour délicieux et d’une finesse exquise, qui écrit en français, langue qu’il maîtrise avec perfection. Le livre met en scène un scénario catastrophe tout bête et totalement ahurissant de ridicule. A l’époque où j’avais lu ce livre il m’avait amusé tant il me paraissait invraisemblable. Parce que dans ce livre les hommes politiques sont si ridicules. Ils se rattachent à des conceptions si désuètes, si inadaptées à la situation qu’il leur faut savoir gérer qu’in fine leurs seules actions font advenir une guerre mondiale et une fin du monde ! Ils continuent jusqu’au bout de vouloir sauver leurs « intérêts économiques », celles d’une société de consommation qui n’a point de raison d’être si l’humanité disparaît ; et c’est ainsi qu’ils la font disparaître, justement ! Le livre commence avec l’enlèvement d’un espion occidental par un groupe islamiste.
Le deuxième est un livre de Dominique Edde, autrice d’origine libanaise qui vit en France. Lorsque son livre était paru en France nombre d’articles y avaient été consacrés dans les journaux français, et le livre s’était revêtu alors, dans les librairies, d’un ruban rouge le labélisant « Le Grand Roman du Moyen-Orient ». Ce livre, Kamal Jann, se boit comme du petit lait. Parce qu’il raconte la Jet-set mondiale. Cette Jet-set qui trempe les lèvres dans un caviar partagé tant par l’artiste que par l’homme politique, le commanditaire de tueries que le multimilliardaire, quel que soient leurs pays d’origine, leurs convictions et leurs idéologies politiques. Car dans ce monde-là tous se serrent la main, et tous s’allient, de tous bords. L’oncle peut commanditer la mort de son frère ; les services généraux israéliens peuvent contracter avec des islamistes intégristes. Tout est permis. Encore une fois ce sont des recherches d’intérêts immédiats qui guident les décisions et actions. Le livre est écrit d’un ton énergique, avec un rythme haletant, moucheté d’humour et de paillettes en veux-tu en voilà.
Dans les deux cas on rit. Et ce rire même est tragique. Car la vision globale offerte est atterrante. Comme dit Miguel Benasayag « là, c’est pure tristesse ». Alors les hommes de pouvoir, nos sages gouvernants, seraient-ils réellement si peu sages, seraient-ils en train de contribuer à la destruction de l’humanité ?!…
Je vous laisse lire, vous amuser, vous délecter de ces deux livres très gentils, très drôles, très aimables (!) :
Les peintures accompagnant cet article sont de :
– Lawrie Dignan,
– Hilary Bryantson,
– Karima Osterlund.
Voici les émissions radiophoniques dont je parle :
– La Grande Table, France Culture, invité Miguel Benasayag,
– Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, diffusé le 30 janvier, débat réunissant notamment Gilles Kepel