Qu’est-ce que l’humanité ? Quelle est la fabrique de l’homme ?! La pensée zen nous dit que l’éternité n’est ailleurs que dans l’instant et que l’instant, lui, sans cesse se renouvelle. Chaque jour qui passe ne fait rien d’autre que de nous rapprocher de nous-même et de notre destin, si tant est que nous tâchons de le modeler à notre façon. Car que sommes-nous donc si ce n’est une façon de penser, d’agir, de nous exprimer, d’Être ?… en d’autres mots faire de l’humanité notre cause commune!
Je vais vous livrer ici une sélection parmi mes lectures récentes. Leur saveur est étrange et multiple. Étrange parce qu’inclassable, multiple parce que riche de thèmes traités et surtout de profondeur insondable. Et qu’en ai-je retenu, de ce panaché de lectures diverses et variées ?
Que les individus voguent sur l’Histoire tissée par un collectif. Et pourtant ce collectif n’a pas de vie propre, n’a pas d’existence détachée. Le collectif est une constellation : réunion d’étoiles individuelles qui rayonnent chacune de leur désir de bonheur, désir de bonté parfois, désir de réussite ou de simple survie souvent. Les choix individuels, les histoires individuelles façonnent l’ensemble. Et cet ensemble n’y peut rien, rien d’autre que de se laisser mener, malmener aussi, par toutes les parcelles insignifiantes qui le composent. Comme individu nous sommes bien peu de choses, mais avons-nous conscience de la portée de notre chose. La vie est notre chose principale. Nous l’écrivons tant bien que mal. Mais nous oublions la plupart du temps de l’écrire pour tous. Oublions que nous sommes ce tous, et en mal écrivant notre histoire personnelle nous entachons l’Histoire de marques qu’elle ne méritait pas.
J’ai lu « Constellation » d’Adrien Bosc qui parle d’un drame collectif mais dont nous n’avons gardé qu’une ou deux histoires individuelles en mémoire. J’ai lu « Englebert des collines » de Jean Hatzfeld, « Théorie générale de l’oubli » de José Eduardo Agualusa et « Ton visage demain » de Javier Marías qui peignent des guerres civiles, celles du Rwanda, de l’Angola, de l’Espagne sans jamais parler de guerre, sans jamais évoquer l’Histoire mais en traçant des destins individuels parfaitement ahurissants, avec émotion, humour et une grande dose de détachement.
Mais j’ai lu aussi « La femme lion » de Eric Fosnes Hansen ou « Accabadora » de Michela Murgia qui mettent en scène des êtres autres, hors norme, hors droit à la transparence parce que la différence chez l’individu dé-range le collectif.
Et puis j’ai lu trois récits qui ne sont pas romans, mais qui sont bel et bien littérature.
Des livres que j’aimerais réunir sous le thème de « l’Engagement ». Je citerai simplement une phrase pour illustrer mon thème délicieux et perturbant, que voici, « Ce qu’ils nous crient et que nous feignons souvent de ne pas entendre : c’est qu’à l’impossible chacun de nous est tenu. » Ce sont les mots de Patrick Deville, dans « Viva » bien-sûr, en parlant de Lowry et de Trotsky ; mais aussi de bien d’autres qui parsèment sa grande aventure, venus de tous temps et de tous lieux pour célébrer une note commune, celle du destin individuel qui se transcende, qui explose en une myriade d’étincelles dans le vif espoir de s’éteindre dans l’esprit de tous ceux, lecteurs de la grande vie, qui sont à la recherche d’une lumière, aussi fine et subtile soit-elle, qui les fera se lever et marcher… Ces trois récits, c’est « Viva » donc, mais c’est aussi « The man within my head » de Pico Iyer, essayiste anglophone malheureusement peu traduit en français et puis « Ka Ta », bref exercice de style de Céline Minard.
Pour clore cet article, ce préambule à la présentation de mes lectures, j’aimerais dire encore un mot : dire le mot Engagement à ma façon.
L’Engagement tel que je l’entends n’est rien d’autre que la dévotion absolue à un soi-même, à la nature profonde de ce soi, et à la direction que ce soi s’est définie pour ligne de vie. Il ne s’agit pas d’un objectif fixé à court ou moyen terme ni d’une volonté tel que Schopenhauer définit le vouloir. Non il est question ici de respect. Savons-nous respecter l’harmonie de la vie dans son ensemble, voir et refléter la beauté dans ce qu’elle a d’authentique ? Savons-nous vivre notre vie individuelle en harmonie avec le tout que compose et reflète la nature ; savons-nous palpiter de notre intention ? François Cheng explique dans son petit traité « Cinq méditations sur la beauté » que l’intention de tout être peut se rapprocher de celle de la rose : dégager le parfum qui lui est propre. Jetons donc les déodorants, les artifices qui nous font « joli » – encore une fois selon la définition du mot « joli » chez Schopenhauer – et apprécions notre parfum d’Homme. Tentons d’être humain ?…
Et pour ce faire, pour y parvenir peut-être, lisons!
Lisons pour déchiffrer les lignes de la vie dans la paume des lettres et les faire bourgeonner dans les nôtres qui toucheront l’ami, l’amant et l’inconnu que nous croiserons le long de notre sentier d’Homme.
P.S. Je vous renvoie à la sublime émission radiophonique d’Adèle Van Reethe « Les nouveaux chemins de la connaissance » sur France Culture, et plus particulièrement les deux suivantes qui m’ont invitée à réfléchir sur ces notions de « vouloir » et de « joli » chez Schopenhauer.
Les illustrations, peintures et photos de cette page sont, dans leur ordre d’apparition, de :
– Fan Ho,
– Yuko Shimizu,
– image d’Ikebana ume no tachi provenant de ce site,
– Yuko Shimizu,
– Jimmy Lawlor.
Et voici donc la liste de ma sélection de lectures récentes :
- Constellation d’Adrien Bosc,
- Englebert des collines de Jean Hatzfeld,
- Théorie générale de l’oubli de José Eduardo Agualusa,
- Ton visage demain de Javier Marías (dont je vous parlerai bientôt en détail),
- La femme lion de Eric Fosnes Hansen,
- Accabadora de Michela Murgia,
- Viva de Patrick Deville,
- The man within my head de Pico Iyer,
- Ka Ta de Céline Minard.