Découvrir une nouvelle librairie est toujours un grand bonheur. Mais il est une autre promenade – découverte plus enchanteresse encore : celle de découvrir une ville par ses librairies ! Amsterdam de son côté est une ville riche d’inspiration. Et cela faisait dix-huit ans que je n’avais posé les pieds dans ses ruelles, ni ne m’étais laissé prendre par le vertige de ses constructions légèrement penchées, chacune à son gré, le nez vers le canal… Puisque aujourd’hui mon souffle s’abreuve de l’âme circulant dans les librairies, j’ai décidé de me laisser enlacer par l’Amsterdam de ses librairies. Mon bonheur fut grand et je vais tenter de vous insuffler son suc, ou tout de moins quelques pépites récoltées ici et là. Car oui, vous pourrez venir dans cette ville pour cette seule et unique raison de déambuler chez les tendres et aimables maisons de livres qui vous accueilleront à bras grand ouverts…
La première bonne nouvelle est que quatre grandes et belles librairies sont réunies dans un tout petit périmètre de la ville. Aucune ne ressemble à sa voisine, et toutes sont splendides, riches. Elles sont à quelques pas les unes des autres mais elles ne font pas de l’ombre à leurs consoeurs tant leurs personnalités sont bien marquées. Et puis, la deuxième bonne nouvelle pour nous français et anglophones est que toutes regorgent de livres qui nous sont adressés. Une librairie qui propose des livres en plusieurs langues est pour moi une librairie de rêve. Une ville, un pays qui m’offre cela, instantanément un havre de paix. Et à ce jour je n’ai connu que Beyrouth au Liban, et Amsterdam aux Pays-bas qui sachent m’offrir cette jouissance de l’esprit. Car ici comme à Beyrouth les habitants de la ville sont multilingues, lisent en différentes langues, aiment l’atmosphère de l’expression centrée sur plus d’une langue. D’ailleurs les amsterdamois, comme les beyrouthins sont trilingues. La langue locale est parlée et lue, l’anglais et le français sont également parlés et lus. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je rencontrai dans la librairie Athenaeum un monde où les univers de langues se côtoient amicalement dans un même rayon : le rayon Histoire réunit des livres d’Histoire… en toutes langues ! Je regarde les livres écrits en néerlandais. Je caresse et feuillette « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben en cette langue que je ne sais pas lire et il me prend l’envie de l’offrir à un ami. Mais je tombe sur d’autres livres que je ne connaissais pas, ceux-là en anglais, et j’ai envie de les prendre pour moi. Et je déambule, déjà enamourée de cette librairie. J’arrive dans le rayon des livres de littérature. Je vois « Intempérie » de Jésus Carrasco. Ah dommage, je ne lis pas l’espagnol. Mais je sais que je désire lire ce livre. Je suis contente que le libraire l’ait dans ses rayons. Et me voilà arrivée au rayon littérature en français. Les romans merveilleux que j’aime y sont. Une jolie collection des écrits d’Olivier Rolin s’y trouve. Ciel! ce sont ces mêmes livres que je ne vois plus chez les libraires français. Serais-je venue à Amsterdam pour me fournir en livres français ?! Et puis bien-sûr je parcours attentivement et longuement les romans dans l’espace de littérature anglophone. Tout ce que j’aime s’y trouve. Je prends des lectures délicieuses de romanciers japonais, certains que je chéris de longue date, d’autres que je découvre. Je m’enrichis d’un volume de nouvelles d’Anita Desai, écrivaine que j’ai envie de connaître depuis longtemps. Et puis je vois, au summum du ravissement, tous les livres de Lazlo Krasznahorkai. Mais au bord des larmes je constate que son dernier roman « Seiobo there bellow » ne s’y trouve pas. Ce n’est pas grave. Je suis malgré tout satisfaite. A la caisse je fais part tout de même de ma désolation. « Allez voir ma collègue » me dit-on, là-bas à l’étage, elle pourra peut-être vous le commander avant votre départ d’Amsterdam. Le bureau de la collègue en question se trouve littéralement dans la librairie. Elle est affairée lorsque j’arrive. Mais en quelques mots de mon anglais tâché de mille accents exotiques elle me comprend. Elle prend son combiné de téléphone, « nous allons voir si nous pouvons l’avoir rapidement pour vous ». Et voilà, c’est fait. La jeune dame charmante, qui a l’air d’être une lectrice de Krasznahorkai me dit que je vais recevoir un e-mail dans quelques jours m’invitant à venir chercher l’ouvrage désiré…
Voilà, la librairie Athenhaeum est désormais une de mes librairies les plus chéries du monde, aux côtés de McNally Jackson à New York ou Le Divan à Paris. Mais. Restez avec moi quelque petit moment encore. Je vais vous parler des autres librairies de ce petit coeur d’Amsterdam, savant et doux.
A peine sortie de Athenhaeum, je vois à l’angle du premier carrefour la librairie américaine, The American Book Center. La veille j’avais longuement flâné dans la librairie anglaise qui se trouve à quelques pas. Pourquoi ne pas venir prendre la température de son gentil antonyme. Car ici je peux admirer les couvertures américaines de ces livres anglophones que j’ai vus sous d’autres atours hier… L’American Book Center est étrangement dessiné, comme un paquebot où l’on monte les étages successifs pour admirer les rangées de livres voguant en son centre. Le mur attenant à l’escalier contient des livres jusqu’au plafond, je ne peux les voir, mais ça habille les murs. Dans le rayon « Memoir » j’essaie d’accéder au livre de William Finnegan disposé si haut que je fais des petits sauts de coq pour l’attraper. Un jeune adolescent rit dans sa barbe en me voyant et fort de sa galanterie naissante vient le prendre pour me le donner. J’entends dans la pièce d’à côté la voix d’un américain quelque peu imbu de lui-même, vraisemblablement un écrivain qui se prépare à une dédicace. A tous les étages l’espace café côtoie la pièce principale de présentation des livres, cette pièce ovale d’un étage du paquebot. Bien-sûr je parcours tous les livres. Bien-sûr je les connais. Aucun titre ne me surprend mais ils sont tous là. C’est bien. Ici je trouve le dernier roman d’Orhan Pamuk, « The Red-haired woman » en 15 exemplaires. En veux-tu en voilà. Chez Athenhaeum il n’y en avait qu’un. Un monsieur l’a pris avant moi. J’étais déçue. Mais ici il y en a trop, je n’ai plus envie de le prendre ! Je le regarde, lis la quatrième de couverture. « The hidden life of trees » de Peter Wohlleben est là, en anglais, je le prendrais bien pour un autre ami. Et je chemine. J’ai mon « Barbarian days » dans la main, tout va bien. Donc je me dirige dans la pièce café et collations de l’étage où se trouvent les livres de sciences humaines et de bien-être. Je caresse un volume du Tao Te King, tiens, une traduction que je ne connaissais pas. Et puis je tombe sur deux versions du Mahabharata. Je découvre qu’une nouvelle adaptation – traduction a été réalisée en 2015. Merci l’American Book Center. Aussi froide et parfaite sois-tu, tu renfermes mes lectures de l’ailleurs.
Et je vais donc vous parler maintenant de la librairie anglaise, Waterstones. En entrant dans cette librairie j’ai retrouvé la saveur de WHSmith, la librairie anglaise de Paris. La même organisation, en plus petit. Ici on ne circule pas comme dans la petite maison charmante avec étages décalés et espaces serrés de l’Athenhaeum, ni façon dans le Titanic de l’American Book Center. Il y a des étages, oui, mais les pièces sont carrées, les unes au-dessus des autres, de la même forme et de la même superficie. En bas la littérature par ordre alphabétique, avec des tables pour les dernières publications, qu’il s’agisse de « Roads of silk » de Peter Francopan, du recueil de nouvelles d’Otessa Moshfegh ou de Winter de Ali Smith. Je monte au dernier étage. L’espace jeunesse et livres pour adolescents est agréable. Pour moi, adulte bien entamée. Les jeunes viennent-ils ici, je me le demande ? Et à ce même étage je m’arrête devant le beau rayon de livres de voyage, et de marche dans le monde. Beau rayon, mais Nicolas Bouvier n’y est pas. Se pourrait-il qu’il ne soit pas traduit en anglais, connu du monde anglophone ? Et je m’éternise devant le petit rayon de poésie. Je me laisse transporter par les mots d’Emily Dickinson. Je ne connaissais pas ces recueils. Je les aime. Je reviendrai pour les prendre. Il me les faut sur ma table de chevet, mes gros volumes de poésie n’étant pas avec moi, chez moi en Corse…
Et puis donc, ma visite guidée va se terminer par la grande institution qu’est Scheltema. Là il s’agit de Strand, cette grande, très grande librairie New Yorkaise, équivalent du Gilbert Joseph à Paris. Des étages, plus vastes que dans la librairie anglaise, et ici, pas question de monter des marches, ce sont des escalators qui vous mènent d’un étage à l’autre. C’est grand mais plus aéré qu’à Strand, plus design que Gilbert Joseph. Plus jeune, plus rénové. En bas la littérature en néerlandais, au-dessus la littérature en anglais, en français. Un grand café à l’étage, dans l’enceinte même, mais derrière l’escalator, d’ailleurs le haut parleur fait une annonce nous invitant à nous rendre à un événement où l’écrivain présente ses écrits. Et puis un étage est destiné aux livres d’occasion. Chez Strand l’espace se trouve au sous-sol, ici c’est le dernier étage qui y est dédié. Aujourd’hui je cherchais un livre que je souhaitais offrir : « Nuits de printemps » de Natsume Soseki. Athenhaeum avait les livres de cet écrivain, m’a fait découvrir au complet les titres de lui traduits en anglais. Mais celui-ci n’y était pas. J’ai pensé qu’il n’existait pas en anglais. A tout hasard je le cherche à Scheltema. Et il est là. En anglais, il s’appelle « Kusamakura« . Ah cette manie française des temps anciens de projeter sa créativité dans la fascination des titres charmants. Manie préhistorique puisque désormais le gagnant du Pulitzer est proposé en France sous son titre original « Underground railroad », intraduisible peut-être, par des éditeurs fatigués peut-être. Et puis cette ambiance feutrée de Schletema m’amuse alors je prends le dernier recueil de nouvelles de l’écrivaine nigérienne Helen Oyeyemi.
Mais il y a une chose que je ne vous ai pas encore racontée. La mise sous paquet en Hollande. Arrivé à la caisse, dans toutes les librairies on vous pose une question énigmatique : c’est pour offrir ? Tiens, ce n’est plus Noël, pourquoi me pose-t-on cette question ? « Non c’est pour moi », je réponds sagement. Et les voilà qui me font tous, invariablement, un paquet tout de même. Avec le papier spécial imprimé de la librairie. Avec du scotch transparent. Ils sont habitués à faire des paquets, ils vont vite. Mais malgré tout cela prend un petit temps. Et pendant ce petit temps je suis heureuse. On m’emballe mes cadeaux, on insère le ticket caisse dedans, soigneusement, selon un rituel bien connu ici mais très insolite pour moi. Je suis charmée. Je suis aux anges. Je suis ici, dans les librairies hollandaises et nulle part ailleurs.
Les illustrations présentées dans cet article, hormis les photos des librairies mentionnées et l’emballage origami sont :
– Peinture de Meg McLean,
– Installation livres suspendus de Hanif Shoaei,
– Sculpture de livres d’Alicia Martin.