Ce livre est d’une grande poésie, et pourtant il met en scène une période de guerre civile, et des familles qui n’ont cessé d’errer, de se poser ici puis là, et ensuite là-bas. La beauté des mots et des images s’aillie à la profondeur des idées et offre au lecteur un bijou, un trésor, une découverte sublime.
J’ai été conquise par l’écrivaine Hoda Barakat en l’écoutant parler à une table ronde dont le sujet était « qu’est-ce qu’un écrivain? ». Avec modestie, avec simplicité, avec imagination elle prenait la parole et enchantait l’assemblée. J’ai donc lu « Le royaume de cette terre » qu’elle venait de publier. Puis, naturellement, je me suis plongée dans ce « Laboureur des eaux ». Et comme je viens de le dire, j’ai été enchantée.
Le récit est chatoyant et soyeux, parfois rêche, parfois ingrat, coloré et sombre, par moments gris et navré, mais toujours enchanteresse puisqu’il y est question de tissus, de métier à tisser, du tisserand. Les mythes et légendes viennent conter le lin, la dentelle, la soie. Mais l’homme malheureusement s’y perd et le nylon et le diolène s’empareront fatalement du récit. Car au-delà de l’histoire des tissus, il est question de comprendre l’étoffe de l’Homme, et par delà, l’histoire d’une humanité désemparée. Nous parcourons ici l’histoire du Liban, celle des kurdes aussi, et puis bien d’autres choses. Mais c’est la guerre civile, une répétition d’anéantissement de ce petit pays qui, tel le phénix qui sans cesse se meurt et renaît de ses cendres, nous agrippera. Au sein de cette guerre civile l’écrivaine raconte une anecdote essentielle, celle de la mort du centre-ville beyrouthin. Les scènes qui sont ici peintes sont fabuleuses. Un film se déroule sous nos yeux, tout à la fois de mystère, de désolation et d’angoisse.
Un marchand de tissus, d’origine libanaise, revient s’installer dans son pays malgré les avertissements de son père. Les liens de la famille s’effilochent. Le père décède et le fils, ayant perdu celle qu’il aimait et dévorait, plonge dans l’ère de conflit intérieur. Il retourne s’installer dans le centre-ville rasé et dévasté que désormais seul les chiens errants habitent. Il retourne en réalité dans ce sous-sol où sont encore entreposés intacts leurs anciens tissus de soieries et explore les souterrains et dessous de la ville en ruine. Je ne prétends pas avoir tout compris, ni avoir percé l’imaginaire spirituel de Hoda Barakat. Mais ressentir, n’est-ce pas plus ample que comprendre…
LE LABOUREUR DES EAUX
Hoda Barakat
Éd. Actes Sud, 2001 (v.o. 1999)
Traduit du libanais par Antoine Jockey
L’illustration présentée est une oeuvre de Cecilia Paredes (body art).