Ce livre est merveilleux et surprenant, un livre à lire assurément. Il m’est arrivé entre les mains par le plus grand des hasards et grâce au conseil avisé de notre bibliothécaire locale. Je m’empresse donc de vous en parler car il y a de grandes chances que, comme moi, vous n’ayez jamais entendu parlé de cet écrivain et encore moins de ce titre… Les livres de cet écrivain sont publiés au Canada et je n’ai pas été étonnée de voir que ce roman avait remporté le prix littéraire Canada-Japon en 2006. Très occidental dans ses personnages et son environnement il est empreint d’une profondeur, d’une douceur et d’une intransigeance japonaises. Denis Thériault se rangerait pour moi parmi ces rares écrivains qui ont réussi à saisir l’essence de la culture japonaise et à nous la restituer, nous lecteurs ignorants, avec une limpidité remarquable. Roman jovial et délicieux, qui se lit quasiment d’une traite il n’en restera pas moins gravé dans mon esprit comme un traité de décryptage de la philosophie et de la poésie japonaises.
L’histoire est simple : Bilodo, un jeune facteur canadien a une vie routinière et plutôt solitaire. La grande passion de sa vie est de lire les quelques très rares lettres à l’ancienne qui lui passent entre les mains. Notre postier retarde de vingt-quatre heures le moment de remettre la lettre en question dans la boite aux lettres du destinataire. Il l’emmène chez lui, la lit, en garde une copie. Et ces lectures emplissent sa vie de joie et d’émotion. Parmi ces correspondances il en est une qui lui tient particulièrement à cœur, celle d’une guadeloupéenne et d’un bonhomme canadien hurluberlu aux cheveux hirsutes et à la barbe négligée. Ces deux-là s’échangent des poèmes. Chacune de leurs lettres est constituée d’un unique haïku, et c’est ainsi qu’ils se parlent. La main du destin voudra que notre facteur prenne la place de ce personnage semblant fou. Et pour pouvoir continuer de savourer les poèmes de la belle guadeloupéenne il va devoir apprendre à écrire lui-même des haïkus dignes d’un professeur émérite en littérature japonaise !
Le récit commence lentement et tout comme dans la vie le rythme s’accélère, le temps devient pressant et les désirs amplifiés. Le suspens qui s’instaure s’écrit pourtant sous la plus douce des plumes, parfois mystique, parfois sensuelle et quelques fois torride ! En sortant du livre on comprend ce qu’est l’Enso, ce cercle mystérieux maintes fois peint par les artistes asiatiques ; on s’imagine le sens de l’éphémère et sa proximité paradoxale avec l’éternel. Pour ma part je vais devoir rendre ce livre à la bibliothèque ET le commander aussitôt afin de le garder et le chérir dans ma bibliothèque personnelle !
LE FACTEUR ÉMOTIF
Denis Thériault
Ed. Anne Carrière, 2015 (1ère édition au Canada, 2005)
Prix littéraire Canada-Japon 2006
L’illustration présentée est l’œuvre de Zhou bin
Comments
Oui, j’ai lu ce livre l’an passé .
J’ai beaucoup aimé, mais effectivement c’est à partir de là, que j’ai étudié plus sérieusement l’Enzo.
C’est drôle je pensais à toi en lisant le livre, et tu étais la première personne à qui j’avais envie de le conseiller… Mais comme d’habitude tu as des lectures merveilleuses et tu ne m’as pas attendue pour dénicher ce petit bijou !