Tout comme dans le livre de Column McCann (Et que le vaste monde poursuive sa course folle) l’auteur nous éblouit ici d’une galerie de portraits fabuleux. Certains chapitres pourraient presque être lus, voire publiés indépendamment, sous forme de nouvelles. Aucun ordre chronologique n’est respecté ici, nous passons de l’avenir au présent, rencontrons un personnage dans sa quarantaine, puis adolescent quelques chapitres plus loin avant de le retrouver très vite centenaire ; ici le personnage principal est le narrateur, là faisant un bref passage tel un figurant.
J’ai été surtout marquée par la large variété de parcours de vie, tous inventifs et finement brodés avec aisance et cohérence. Déguisée derrière les mille couleurs qui se trament dans les multiples rebondissements de la vie des uns et des autres, à peine voilée par la présence constante de l’humour dans le récit, une profonde critique de notre époque et de la société américaine s’immisce dans le récit et ne pourra que glacer le sang du lecteur. Mais ce livre est aussi empreint d’une quête de l’identité, du sens de la vie… toutes ces grandes questions étant abordées ici au travers de mille petites touches, mille instants de vie de ces personnages dont le destin s’entrelace miraculeusement.
L’univers des producteurs de musique et celui de stars hollywoodiens permet à l’écrivaine d’épaissir le trait de caractère parfois caricatural des personnages et le tranchant des destins rencontrés. Un très bon livre qui mérite son Prix Pulitzer me semble-t-il. C’est aussi, probablement, un livre qui mérite d’être non seulement lu mais relu tant il est difficile de tout savourer en une seule lecture. Et cela ne nous étonnera pas de Jennifer Egan qui est, et c’est le moins que l’on puisse dire, une femme intelligente.
J’ai terriblement aimé aussi le talent de l’écrivaine pour dessiner des images. Un certain immeuble décrépi en Italie, où loge une jeune étudiante que vient retrouver son père, ne me sortira jamais de l’esprit tant il est rendu vivant dans le livre. Il m’est arrivé, en voyage, de me retrouver dans un immeuble de la même architecture et de la même texture, et avoir le sentiment que cette jeune étudiante était là, dans le logement avoisinant celui où je me trouvais… Voilà donc bien des raisons de se plonger dans ce livre !
On retrouvera dans Dieu sans les hommes de Hari Kunzru cette même structure brassant les époques et les personnages qui circulent dans un même monde. Tour de magie que Hiromi Kawakami emploie aussi dans son livre Le Temps qui va, Le temps qui vient pour nous empreindre avec sa douceur habituelle du sens de l’existence et des rencontres fortuites de la vie.
QU’AVONS-NOUS FAIT DE NOS RÊVES?
(A visit from the goon squad)
Jennifer Egan
Traduit de l’anglais par Sylvie Schneiter
Ed. Stock, 2012 (v.o. 2010)
Prix Pulitzer 2011