Destin criminel, viens cueillir mon ingénuité

A l’unanimité tous ceux qui ont lu ce livre l’ont aimé, pour autant que je puisse en juger. Et tout comme mes amis, j’ai apprécié ce livre, apprécié surtout l’expérience de lecture qu’il m’a offert. La narration est réfléchie et pesée, le livre semble long et pourtant il se lit sans effort. L’étonnant est qu’on trouvera autant de sérénité entrelacée dans le récit du narrateur que de pertes et fracas dans la vie qui fut la sienne. On admirera le très bel équilibre établi entre le fond et la forme, entre la réalité bouleversante et l’interprétation tempérée qui en est faite.

Les grands espaces s’offrent à nous dans ces pages, la nature se livre dans son plus grand dénuement, sujet aux changements successifs opérés par les saisons ; et au sein de ce décor une vie bascule. Un chapitre se clôt, un autre s’ouvre et entre les deux la transition s’accomplit.

Le narrateur et sa sœur jumelle sont adolescents. Leur famille a souvent déménagé et ils ont rarement réussi à s’ancrer dans leur environnement. Mais le jeune garçon vient de se construire enfin quelques repères, en se concentrant sur les centres d’intérêt qu’il s’est choisis : le jeu d’échecs et l’apiculture. Il serait content de continuer à séjourner dans cette ville. C’est à ce moment que ses parents sont arrêtés par la police pour avoir braqué une banque, eux qui « auraient davantage le profil et le physique d’épiciers » de l’avis de l’officier de police… Notre jeune homme se retrouve tout seul dans sa maison, sa sœur ayant décidé de partir à l’aventure. Et dans la foulée il est conduit au Canada par une amie de sa mère qui l’installe dans le ranch de son frère là-bas. Mais notre jeune ami n’est pas au bout de ses peines. Face à l’adversité il continuera malgré tout de brandir sa naïveté et d’exposer sa candeur.

Richard FordL’histoire nous est contée une cinquantaine d’années après les événements en question par l’homme devenu mûr. C’est un enseignant de longue date qui nous parle, s’étant définitivement installé au Canada et ayant épousé une Canadienne. Le récit est donc teinté de la sagesse et du recul qu’il aura gagnés au fil des ans.

Il m’a plu de lire pour une fois l’histoire d’un nouveau départ pensée très différemment de ce à quoi nous sommes habitués. Une nouvelle vie, un nouveau pays, vastes horizons et liberté fabuleuse sont imposés ici par la main du destin, et gagnés dans un inconfort extrême.

Quant aux messages que véhicule le récit, ils jaillissent tous de la brutalité des contrastes d’une vie. Un jeune adolescent tout frais émoulu ouvre les yeux pour s’apercevoir que tout ce qui était blanc jusqu’alors est en réalité noir. Il lui faudra une vie durant pour y tisser mille fils d’argent dotés des nombreuses nuances de gris qu’il lui eût été difficile de discerner au départ.

Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde à la lecture de ce livre, et j’ai relevé plus d’un passage, recopié dans mon petit calepin, chose qui ne m’arrive pas bien souvent avec les auteurs contemporains… Un livre à lire qui très probablement vaut la peine également d’être relu par la suite.

CANADA
Richard Ford
éd. de l’Olivier  2013 (v.o. 2012)
Traduit de l’anglais par Josée Kamoun
Prix Femina étranger 2013

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