Après nos quelques mois de pause estivale nous nous sommes retrouvés de nouveau pour partager nos lectures. Tous n'avaient pas eu l'information concernant le changement de date à temps aussi ils n'avaient pu être là. Mais nous avons l'habitude désormais d'être un joli groupe même quand nous sommes peu nombreux !
Yassi nous a d'emblée précisé que c'était normal si nous n'avions pas reçu de compte-rendu de notre rencontre de juin 2018. "Tout comme l'année dernière je n'ai pas réussi à rédiger celui de la toute dernière réunion de la saison" disait-elle, en expliquant que c'était peut-être dû au fait qu'elle n'aimait pas les au revoir. Mais elle pensait que c'était également en raison du temps de rédaction qu'elle avait consacré à rédiger les chroniques détaillées du festival littéraire d'Altagène auquel elle avait adoré assister. Elle proposait que nous nous organisions l'année prochaine pour nous y rendre ensemble. Elle a passé en revue rapidement quelques moments forts de ce festival en nous invitant à lire le détail dans l'article qu'elle avait rédigé. Elle nous a promis néanmoins de nous communiquer les références de tous les livres évoqués en juin.
Actualités littéraires
Nous avons repris ensuite le déroulement habituel de nos réunions mensuelles en commençant par une revue de l'actualité des livres. Les actualités en la rentrée littéraire sont bien fournies bien entendu. Yassi nous a dit que tous les grands prix avaient désormais fait l'annonce de leur première sélection mais que cette année elle était ennuyée de voir que la critique et les jurés des prix s'intéressaient toujours aux mêmes titres des mêmes éditeurs. Nous n'avons donc pas détaillé la question, mais vous trouverez à la fin de ce compte-rendu des liens vous permettant de consulter la liste des livres sélectionnés par les institutions Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis et Académie Française. Yassi a précisé toutefois qu'elle avait été très intéressée par la sélection des romans étrangers du Médicis.
En revanche on a fait un petit tour du côté de l'institution Nobel. Nous avions évoqué les déboires et démissions de l'organisation Nobel de littérature qui s'était trouvé dans l'impossibilité de constituer un nouveau groupe de jurés. En attendant de résoudre le problème un semi-Nobel de littérature s'était mis en place sous le nom de New Academy Prize pour l'année 2018, voué à être dissous à la fin de l'année. Ils avaient nominé quatre écrivains : Maryse Condé, Neil Gaiman, Haruki Murakami et Kim Thuy. Depuis l'annonce, Haruki Murakami, tout en remerciant l'organisation de l'avoir sélectionné, avait souhaité refuser cet honneur. Yassi pensait que l'écrivain japonais, qui depuis dix ans était régulièrement pressenti comme futur Nobel de littérature, devait être déçu de paraître comme candidat à ce semi-Nobel (sous-Nobel ?).
Mireille souhaitait connaître le titre du dernier roman paru de Maryse Condé. Il s'agit de "Le fabuleux et triste destin d'Ivan et d'Ivana" publié en mai 2017 par les éditions JC Lattès.
En parlant de Nobel de littérature, nous ne pouvions parcourir l'actualité sans évoquer le parcours de V.S. Naipaul. Ecrivain britannique né à Trinidad et aux origines indiennes, Naipaul fut élevé au rang de Nobel de littérature en 2001. Décédé le 11 août dernier l'univers littéraire lui a rendu hommage en relisant et reparlant de son oeuvre. L'homme n'avait pas toujours été évoqué sous des termes élogieux de son vivant, mais tous reconnaissaient la qualité de l'écrivain, et son apport à l'art littéraire. Il fut le premier écrivain britannique à inviter d'autres cultures et identités dans son oeuvre tant de fiction que de récits de voyage et essais. Yassi disait la force du hasard voulu qu'elle n'aie encore lu aucun de ses livres alors qu'à une époque elle les achetait tous ! Elle avait décidé de s'attaquer à son oeuvre en se plongeant dans ses tout premiers romans (Le Masseur Mystique et Miguel Street publiés en 1957 et 1959) ainsi que son Énigme de l'Arrivée (1987), récit autobiographique de l'auteur. Quant à savoir s'il était réellement misogyne, raciste, mauvais post-colonialiste, hautain, tête de mule, suffisant etc. Yassi disait avoir préféré se référer à un bref essai de Naipaul où il explorait le sens d'être écrivain. Dans cet article il se rangeait aux côtés de Proust pour qui l'homme et l'écrivain ne sont pas les mêmes. Il était tout simplement d'avis que pour connaître et comprendre l'écrivain il n'est d'autre recette que de lire ses œuvres.
Nouvelles publications
Toujours fidèle au déroulement habituel de nos clubs de lecture Yassi a brièvement présenté quelques nouvelles publications qui lui paraissaient intéressantes. En cette période de rentrée littéraire il y eu 561 nouveaux romans publiés, nous n'allions donc pas passer en revue toutes ces nouvelles publications. Mais voici les quelques livres qui avaient retenu son attention :
- Ito Ogawa, dont nous avions parlé l'année dernière suite à la lecture de son roman Le restaurant de l'amour retrouvé a publié un nouveau roman sous le titre de La papeterie Tsubaki.
- Catherine Poulain qui avait eu de chaleureuses recommandations de la part de plus d'un des participants du club de lecteur pour son récit Le grand marin, vient de publier un nouveau livre sous le titre Le coeur blanc.
- Agnès Desarthe que vous appréciez également vient de publier un nouveau roman qui s'appelle La chance de leur vie.
- Adrien Bosc qui avait écrit le bref récit Constellation vient de publier un autre texte bref et suivant le même style littéraire qui s'appelle Capitaine.
Yassi nous a parlé également de deux autres parutions qu'elle avait découvert en écoutant des émissions littéraires où les auteurs l'avaient passionnée :
- Valérie Manteau était une collaboratrice de Charlie hebdo aux moment des événements de 2015. Elle avait écrit à l'époque un texte très acclamé sous le titre Calme et tranquille. Elle a quitté la France après cela. Et "pour trouver le calme" racontait-elle, elle est allée vivre en Turquie ! Elle raconte dans son nouveau récit, Le Sillon, ses années passées en Turquie. Elle s'est intéressée à ce pays , et à ses problématiques de l'intérieur, comme par exemple la disparition d'un poète arménien qu'elle nous permet d'aborder. Les drames des turcs, si déchirants pour eux, sont bien peu connus par nous tout comme nos drames sont bien peu connus d'eux... Les mots et le ton de voix de cette jeune femme dégagent quelque chose de très beau, sain, frais, et son regard sur la vie d'une profondeur inouïe nous disait Yassi qui avait été charmée par l'humour et la vivacité de l'écrivaine.
- Mathias Enard, prix Goncourt 2015 pour son roman Boussole et malheureusement taxé d'écrivain illisible vient de publié un livre illustré né de sa plume et de celle de l'illustratrice syrienne Zeina Abirached sous le titre Prendre refuge. Les dessins noir & blanc et candides de Zeina Abirached porté par le texte et scénario de Mathias Enard tracent deux histoires d'amour atypiques, à deux époques différentes, mais tout aussi complexes : en 1939 en Afghanistan et en 2016 à Berlin.
Les liens vers les émissions radiophoniques évoqués sont indiqués à la fin de ce compte-rendu.
Citation du mois
Pour ouvrir le club du mois, et avant de nous lancer dans les partages de nos lectures, nous évoquons toujours un écrivain, une voix. Ce mois-ci Yassi nous a lu un extrait tiré du livre de l'écrivaine allemande Jenny Erpenbeck. Son livre "Go, went, gone" (titre original Gehen, ging, gegangen ) n'est pas encore traduit en français. Yassi avait lu la traduction anglaise du roman cet été et avait été très touchée par ce texte qui porte un professeur d'université retraité de lettres classiques au contact de jeunes migrants de divers pays africains. Voici un dialogue entre Robert, l'enseignant retraité, et un jeune garçon du désert.
On vendait des chameaux en Libye
Quel âge avais-tu ?
Dans les dix ans. C'est l'âge où l'on commence à partir avec les hommes.
Une caravane voyage combien de temps ?
Quelques mois. Parfois un an.
En traversant le désert ?
Oui.
Comment est-ce que vous trouvez votre chemin ?
On connaît le chemin.
Mais comment ?
Le jeune Touareg hausse les épaules. On le connaît.
Richard aimerait comprendre. Il est encore debout à côté de cette barque retournée avec ce jeune homme qui a parcouru plus de trois mille kilomètres pour venir l'aider avec ses travaux de jardinage.
Les étoiles vous aident à vous repérer ?
Oui.
Et dans la journée, il n'y a pas d'étoiles ?
Les hommes savent ce qui s'est vécu tout le long du chemin.
Quand ?
Toujours.
Tout ce qui s'est toujours passé ?
Oui.
Ils disent ce qui s'est passé ?
Oui.
Pendant qu'ils marchent ?
On ne marche pas, on chevauche.
C'est juste.
Ils racontent les histoires le soir.
Ils trouvent leur chemin avec ces histoires ?
Oui.
Ils trouvent leur chemin en se rappelant ?
Oui.
Richard devient silencieux. Bien entendu il a toujours su que l'Odyssée et l'Iliade étaient des histoires qui s'étaient transmises oralement bien avant qu'Homère – ou quel que fût l'auteur – les ait écrites. Mais jamais auparavant la connexion entre l'espace, le temps et les mots ne l'avait frappé aussi clairement qu'à cet instant.
Partage de nos lectures
Yassi nous a rapidement présenté un premier livre parmi ses lectures de l'été avant de passer la parole à toutes les lectrices présentes. Manhattan Beach, paru en français sous son titre d'origine est le dernier roman de Jennifer Egan, écrivaine new-yorkaise largement connu pour son roman "Qu'avons-nous fait de nos rêves", prix Pulitzer 2011. Elle nous revient cette fois avec un roman au style classique, au déroulement chronologique linéaire et qui serait presque un roman historique retraçant la vie de la ville portuaire de New York au moment de la seconde guerre mondiale. Yassi louait la capacité de l'écrivaine à redonner vie à une époque si proche de nous et pourtant bien lointaine dans le mode de vie décrit. Le livre étant très bien documenté, le visage même de Manhattan surprend tant il est loin de ce que nous connaissons aujourd'hui. Gangsters et mafieux sont affiliés aux hommes de pouvoir et d'influence bien-pensants. Tous sont blancs bien entendu, les mafieux étant divisés entre les ex-migrants irlandais et ceux italiens. La place de la femme dans cette société prude et pudibonde est étroite. Or les hommes étant partis à la guerre, tous les bras sont requis pour faire tourner l'économie. Les femmes sont donc incitées à travailler et l'héroïne du roman sera la toute première femme à faire de la plongée sous-marine en vue de la réparation de navires militaires...
Blanche a alors pris la parole pour nous transporter dans des univers riches d'émotions. Sa fille lui avait apporté deux livres à lire, bien différents l'un de l'autre. Ayant commencé par le prix Goncourt, Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître elle avait été bouleversée par le tragique sombre du roman. Tant celles parmi nous qui l'avaient lu que les autres ont été ébahis par le récit qu'en faisait Blanche ; avec elle nous étions choquées par le pouvoir qu'exerce l'argent, par la folie aussi d'envoyer tous ces jeunes à la guerre, toutes choses soulignées dans le roman. Le livre avait été si déstabilisant que Blanche avait préféré faire une pause et se plonger dans l'autre roman conseillé par sa fille, plus léger, plus gai et esquissant tous les petits plaisirs et petits moments de bonheur de la vie : Au petit bonheur la chance d'Aurélie Valognes. Fort de cette douceur retrouvée elle avait pu s'attaquer de nouveau au texte de Pierre Lemaître et en venir à bout. Les autres personnes présentes qui avaient lu ce livre confirmaient les sentiments de Blanche. C'est un roman historique qui restitue le vécu de toutes les familles, de nos grand-parents, expliquait Marie Magdeleine, l'histoire en est donc d'autant plus poignante quand on se plonge dedans. Le film de Dupontel, tiré de ce roman, ne s'avère pas aussi troublant que le texte écrit. Plus coloré, plus esthétique, la facette sombre et tragique de l'histoire est quelque peu édulcorée. C'est le sentiment qu'avaient Florence et Yassi.
Nous aurions voulu rester à écouter Blanche encore un long moment mais les discussions étaient désormais portées vers le cinéma, et les livres adaptés pour être portés sur le grand écran. Nous en avions un exemple tout frais, le film qui venait d'être projeté au cinéma de Porto-Vecchio la semaine précédente. My Lady du réalisateur Richard Eyre, est une adaptation du roman de Ian McEwan, L'intérêt de l'enfant. Celles qui l'avaient vu trouvaient que c'était un très beau film, fidèle au livre, avec un joli casting, dont Emma Thompson dans le rôle de cette magistrate tiraillée entre le vacillement de son couple et le cas bien difficile à trancher pour sauver, ou non, la vie d'un jeune garçon dont les croyances religieuses allaient à l'encontre des soins médicaux requis. Yassi disait avoir pleuré au cinéma alors que le livre lui avait plutôt fait travailler les méninges. Était-ce le livre qui était plat, ou l'art du cinéma qui était plus poignant ? Cela dépendait apparemment des films et des livres...
Marie-Magdeleine qui avait aussi lu L'intérêt de l'enfant a gardé la parole pour nous parler du dernier roman de Metin Arditi paru en cette rentrée littéraire : Carnaval noir. Elle nous disait comme elle aimait lire cet écrivain et comme ses romans étaient en général réussis et passionnants. Or là, elle n'avait pas retrouvé le Metin Arditi talentueux qu'elle aimait. Le roman parcourait deux époques différentes, en passant du Venise de 1575 au Venise de 2016. Sur fond d'intrigue policière il rapprochait les obscurantistes d'autrefois et ceux d'aujourd'hui. Marie Magdeleine nous disait que la partie ancienne sur Venise était très belle et bien rendue mais le propos qui suivait, autrement dit la comparaison avec les problématiques d'aujourd'hui, ne fonctionnait pas. Elle trouvait un côté convenu et peu abouti au roman dans son global. Venant de la part d'un homme érudit et au parcours riche et complexe comme Metin Arditi le résultat était décevant.
Florence de son côté avait lu des chefs d'oeuvre absolus. Elle ne nous a pas parlé de toutes ses lectures de l'été mais simplement de deux romans, l'un récent, l'autre désormais un classique qu'elle nous recommandait vivement. Il s'agissait du récit de Philippe Lançon, Le Lambeau, dont Monique O. nous avait parlé avant l'été, et de L'Amant de Marguerite Duras.
Profondément marquée par l'écrit de Philippe Lambeau elle disait continuait de vivre à ses côtés bien après avoir terminé le livre. Mireille et Hélène qui avaient lu récemment Le Lambeau soupiraient d'émotion et d'admiration aux côtés de Florence. Non seulement son histoire est poignante, et écrite avec un style littéraire magnifique, mais c'est surtout une histoire universelle, comme pourrait raconter un vétéran de guerre ou quelqu'un qui est frappé d'une maladie grave nous disait-elle. C'est un homme qui ne s'apitoie jamais, et son parcours en devient exemplaire. Pour la première fois Florence avait été prise du désir d'écrire à l'auteur, après avoir lu son oeuvre.
Quant à L'Amant de Marguerite Duras, elle avait été époustouflée par la force du texte. Des phrases brèves et concises parviennent pourtant à rendre vivants des paysages sublimes et lointains , surgissant devant les yeux du lecteur. Admirative de la plume de Duras elle s'était lancée dans la lecture de La douleur. Hélène et Mireille rejoignaient le propos de Florence en nous donnant très envie de lire Un Barrage contre le pacifique, à leur sens le plus beau texte de Duras.
En parlant de paysages qui se font vivants sous les yeux du lecteur, plusieurs lectrices présentes ont pensé au roman policier de Ian Manook sur la Mongolie. Nous avons eu du mal à retrouver le titre, Yeruldegger !
C'est Anne-Marie qui a alors pris la parole pour nous recommander des lectures nombreuses et variées. Elle a commencé par nous parler de deux romans de Kazuo Ishiguro. Très différents l'un de l'autre, tous deux lui avaient plu. Les vestiges du jour était mieux connu de tous, peut-être aussi parce qu'il avait été porté au grand écran avec brio, Anthony Hopkins et Emma Thompson ayant interprété les deux personnages principaux du majordome et de la gouvernante de cette maison britannique durant la seconde guerre mondiale. Mais c'était bien plus difficile de présenter Auprès de moi toujours sans révéler le secret qu'il renferme. L'un est un récit historique, l'autre fantastique mais les deux romans sont poignants en ce qu'ils gardent le lecteur dans le secret jusqu'au tout dernier moment.
Pour rester dans les grandes œuvres littéraires Anne-Marie nous a ensuite parlé de Silence, roman du japonais Shusako Endô qui dévoile une part méconnue de l'histoire de son pays : le renfermement du Japon et le rejet des valeurs occidentales au début du dix-septième siècle, plus précisément, la persécution des missionnaires catholiques. Yassi n'a pas pu s'empêcher de s'exclamer en repensant au film récent que Martin Scorsese avait réalisé sous le même titre. Un film à voir en grand écran pour apprécier les paysages vertigineux, et en se préparant à sortir de la salle totalement bouleversé !
Anne-Marie a poursuivi avec un roman plus léger et très frais écrit par Valérie Perrin, Les oubliés de dimanche. Cette même jeune écrivaine qui a publié récemment Changer l'eau des fleurs. Elle écrit des récits gorgés d'humanité et manifestement elle sait raconter des histoires délicieusement.
Florence a brièvement repris la parole pour évoquer des romans plus légers qu'elle avait lus. Il ne s'agissait pas de chefs d’œuvres comme ceux dont elle avait parlé précédemment mais tout à fait plaisants à lire toutefois : Les prénoms épicènes d'Amélie Nothomb, et Le suspendu de Conakry de Jean-Christophe Rufin.
Hélène, qui aime la littérature nord-américaine lorsqu'elle met à nu le pays et ses personnages ramenés à l'archétype, nous a parlé du dernier roman de Richard Russo, A malin, malin et demi, fort réussi dans son style.
Yassi a demandé alors à Annie si elle voulait bien parler du dernier roman de Jérôme Ferrari paru en cette rentrée littéraire, À son image. Annie avait le sentiment d'être passée à côté du livre et préférait le relire avant de nous en parler. Mais Carmela, Marie-Josée et Marie-Jeanne l'avaient lu et étaient toutes très enthousiastes. Marie-Jeanne nous en a alors parlé d'une voix vibrante et chantante qui ne pouvait que nous conquérir et nous donner envie de nous plonger dans ce roman. Elle nous invitait aussi à écouter l'émission Des livres et délires sur France Bleu RCFM où ils avaient parlé de A son image et l'avaient défendu vaillamment. Car, en effet, comme nous étions plusieurs à l'avoir entendu, les critiques du légendaire Le Masque et la plume sur France inter l'avaient tout simplement démoli, sans aucune subtilité ni justification soutenue.
Pour finir, et encore une fois comme d'habitude, Yassi a repris la parole pour nous présenter les autres lectures récentes dont elle tenait à nous parler. Il s'agissait de trois romans très différents les uns des autres. Le premier lui a valu de faire un grand détour par l'histoire de l'Espagne au vingtième siècle. La période franquiste et post franquiste avaient totalement rangé dans les oubliettes les positions, actions et agissements des uns et des autres durant la guerre civile et à l'arrivée de la dictature. Par un accord tacite tous avaient accepté de sacrifier la mémoire pour pouvoir vivre un semblant de paix entre voisins, dans une même ville, un même pays. Or la génération suivante ne se satisfait plus de ces silences et déterre le passé. Ce sont ces nouvelles générations d'écrivains qui nous offrent des récits et romans où l'on peut comprendre l'Espagne et son histoire. Yassi attirait notre attention sur les livres de Javier Cercas (Les soldats de salamine, L'imposteur), dont le tout dernier paru en cette rentrée littéraire, Le monarque des ombres où l'écrivain va jusque dévoiler la part d'ombre résidant en sa propre famille.
Après ce long aparté elle nous a donc parlé du roman qu'elle venait de terminer, Si rude soit le début, de cet autre écrivain espagnol qu'elle adore : Javier Marias, romancier, essayiste, journaliste et traducteur qui est publié dans plus de cinquante pays et langues. Elle nous recommandait tous ses romans, dont le très long Ton Visage demain (3 tomes), en nous conseillant de commencer plutôt par Comme les amours. Le style de cet écrivain est plutôt lent, avec bien des digressions, afin de nous montrer comme les vérités sont masquées et nous faire comprendre que tous ont tourné longtemps autour du pot ; puis subitement le rythme s'accélère et le lecteur n'est pas déçu par la force des révélations faites, il est estomaqué tout en reconnaissant qu'il s'y attendait ! Si rude soit le début ne fait pas exception à la règle. Bien entendu à chaque fois c'est une histoire différente qui se raconte, quand bien même ce sont toujours les travers de l'homme qui sont gentiment dénoncés...
Yassi nous a ensuite parlé d'un roman exquis, délicieux, plein de joie de vivre et de gaieté, écrit par une jeune romancière nigériane Sarah Ladipo Manyika. Son livre fait moins de cent cinquante pages, et pourtant il est tournoyant et nous présente mille personnages et leurs histoires, invite en son sein toutes les réalités de la vie ainsi que les fantasques romanesques d'une héroïne amoureuse de la littérature. Comme une mule qui apporte une glace au soleil est une jolie découverte qu'elle nous recommandait. Nous étions plus d'un à nous demander ce que voulait dire le titre, et pourquoi une mule d'abord etc, Yassi ne savait nous répondre mais a dit qu'elle allait y réfléchir et se renseigner.
Pour finir elle nous a dit avoir déniché un écrivain britannique connu et reconnu dont elle n'avait pas idée de l'existence jusque là. Edward St Aubyn est l'auteur des cinq romans qui ont donné lieu à la série Patrick Melrose (nominé pour 5 Emmy Awards cette année). Yassi avait commencé par le quatrième de la série, sans savoir qu'il s'agissait d'une longue saga. Elle était tombée sur ce titre en retraçant une phrase extraite du livre, mise en exergue de Jours Barbares, dont elle nous avait parlé plusieurs fois l'année dernière. Ce roman peut se lire seul, d'ailleurs il a été lauréat du Man Booker Prize. Hilarant dans le premier tiers, Le goût de la mère devient vite déchirant puis finalement philosophique. C'est la vie qui est brossée dans cette histoire et les personnages, très très loin d'être parfaits, sont en revanche parfaitement humains.
Avant de nous quitter nous avons fixé les dates des trois prochains clubs de lecture au
- vendredi 12 octobre 2018,
- vendredi 23 novembre 2018,
- vendredi 14 décembre 2018,
toujours à la bibliothèque de Porto-Vecchio à 16h.
Références, listes et liens :
Chroniques Livres et films
Voici les articles de Kimamori que vous pourrez lire sur les livres et films évoqués dans ce compte-rendu (dans l'ordre d'apparition ci-dessus) :
- Le restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa,
- Constellation d'Adrien Bosc,
- "Go, Went, Gone" de Jenny Erpenbeck,
- Manhattan Beach de Jennifer Egan,
- Qu'avons-nous fait de nos rêves ? de Jennifer Egan
- My Lady, film réalisé par Richard Eyre, adaptation de L'intérêt de l'enfant,
- L'intérêt de l'enfant de Ian McEwan,
- Silence, film réalisé par Martin Scorses, adaptation de Silence de Shusako Endô,
- Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro
- Les soldats de Salamine de Javier Cercas,
- Si rude soit le début de Javier Marias,
- Comme les amours de Javier Marias,
- Comme une mule qui apporte une glace au soleil de Sarah Ladipo Manyika,
- Jours Barbares de William Finnegan
- Le goût de la mère de Edward St Aubyn.
Articles Kimamori autres
Parmi les autres articles de Kimamori évoqués dans ce compte-rendu, vous pourrez lire :
- Le chronique détaillée du festival littéraire d'Altagène 2018,
- L'essai-article de V.S Naipaul traduit par Yassi sous le titre "Qu'est-ce qu'un écrivain".
Liens émissions radiophoniques
Vous pourrez écouter les émissions radiophoniques évoquées dans ce compte-rendu :
- Prendre refuge de l'écrivain Mathias Enard et de l'illustratrice Zeina Abirached est présenté dans Le réveil culturel sur France Culture,
- Valérie Manteau parle de son récit Le Sillon dans La librairie francophone sur France inter,
- A son image de Jérôme Ferrari est défendu dans Des livres et délires sur France Bleu RCFM,
- A son image de Jérôme Ferrari est mal-traité dans Le Masque et la plume sur France inter.
- Pour mieux connaître l'écrivain Metin Arditi et son parcours hors du commun vous pourrez écouter la série d'émissions diffusées la semaine dernière dans A voix nue sur France Culture.
Liens prix littéraires
Vous pourrez consulter les listes des premières sélections de prix littéraires de la rentrée 2018 évoquées dans ce compte-rendu, avec les dates de l'annonce des finalistes (ou du lauréat) :
- Prix Goncourt première sélection, liste des finalistes annoncée le 2 octobre
- Prix Renaudot, le 3 octobre
- Prix Femina, le 5 octobre
- Prix Médicis, le 4 octobre,
- Grand prix du roman de l'Académie Française, attribution le 25 octobre.
Références illustrations présentées
L'illustration présentée au tout début de ce compte-rendu est l'oeuvre de :
- Shearart, que vous pourrez consulter et acquérir sur son "blogspot".