Peter Brook, l’Enchanteur !

A l’occasion de la parution de son dernier livre le 24 janvier 2018 et de sa nouvelle création à voir à Paris à partir du 6 mars 2018, j’ai eu envie de vous parler d’un de mes metteurs en scène favoris, que j’admire depuis longtemps.

Oui, vous connaissez tous Peter Brook l’enchanteur. Ce grand homme qui n’a cessé d’inventer le théâtre, de le faire vivre, et d’émerveiller les spectateurs du monde entier. Il a redonné vie à des épopées anciennes tels que La conférence des oiseaux ou Le Mahabharata aux côtés du scénariste Jean-Claude Carrière. Il a toujours eu à coeur, plus généralement, de nous inviter à boire le nectar des oeuvres intemporelles, notamment en portant sur scène plus d’un Shakespeare. Mais une pièce de Peter Brook est bien plus que l’oeuvre écrite ou orale de départ. C’est un monde recréé sous nos yeux, et c’est une expérience cathartique. Comme il le dit lui-même, il faut être passionné mais aussi ouvert à tous les points de vue :

« Je n’ai jamais cru en une vérité unique. Qu’il s’agisse de la mienne ou de celle des autres. Je crois que toutes les écoles, toutes les théories peuvent être utiles en un certain lieu, en un temps donné. Mais je crois qu’on ne peut vivre qu’en s’identifiant passionnément, et, absolument, à un point de vue. Toutefois, le temps passant, à mesure que nous changeons, que le monde change, les objectifs varient et le point de vue se déplace. Si je considère les essais que j’ai écrits, les idées émises en maints endroits, une chose me frappe: une certaine continuité. Pour qu’un point de vue soit d’une quelconque utilité, il faut s’y consacrer totalement, il faut le défendre jusqu’à la mort. Pourtant, en même temps, une petite voix intérieure murmure :  » hold on hightly, let go lightly ». »

Et puis Peter Brook c’est le théâtre des Bouffes du Nord. Construit en 1876, ce théâtre renaît sous sa direction et celle de Micheline Rozan. Le lieu est rénové avec une attention toute particulière pour préserver et mettre en valeur la patine du temps et le caractère particulier qui l’habite. En 1993 il est classé monument historique.

Mais Peter Brook c’est aussi la magie d’une troupe hors du commun. Elle est composée de comédiens venus de toutes les parts du monde qui savent donner un souffle miraculeux aux personnages qu’ils interprètent. Leur jeu est d’une telle puissance que l’on oublie de voir les traits de leur visage, la couleur de leur peau, on oublie d’entendre l’accent qui teinte leur anglais. On ne voit que leur aura, que les messages invisibles qu’ils véhiculent. Et n’oublions pas que Peter Brook dut obtenir une autorisation spéciale du président de la république, à l’époque François Mittérand, pour avoir le droit de présenter ses pièces, dans son théâtre à Paris, comme ailleurs, qui étaient jouées invariablement dans leur version originale, en anglais. Il est attaché aux mots et à leur sonorité. Il est attaché au jeu de l’acteur qui s’éprend de ses consonnes et de ses voyelles. Il est attaché à la possibilité de traverser les frontières pré-établies de la pensée, et d’embrasser les choses plus vastes de l’esprit humain, dans la liberté !

Tout cela il le raconte dans ses livres. Et bien entendu au lieu de me lire vous parler de lui il est plus juste de l’écouter lui-même vous parler de sa vision. Il a aujourd’hui 93 ans. Il est vif d’esprit comme peu d’entre nous l’avons été même à 20 ans ! Il est tout autant emprunt de sagesse et de maturité que d’une étincelle d’enfance éternelle.

Vous pourrez l’écouter dans cette émission radio où il parle de son travail, de Shakespeare, des langues, du sens de la liberté et de bien d’autres choses encore. Je vous invite également à lire ses livres dont le tout dernier qui vient de paraître en français, traduit par Jean-Claude Carrière sous le titre « Du bout des lèvres ». Il parle également de sa nouvelle création « The Prisoner » à voir sous peu aux Bouffes du Nord.

Mais je ne peux terminer cet article sans vous dire quelques mots sur la dernière pièce de théâtre de Peter Brook que j’ai vue, devrais-je dire que j’ai vécue : Battlefield.
Vous le savez j’ai une passion pour l’épopée qui se nomme Le Mahabharata, une des plus anciennes du monde probablement . Issue de l’oralité on ne sait situer sa naissance, mais elle date de plusieurs millénaires. Écrite en vers sanskrits, elle est bien longue. J’avais entendu Jean-Claude Carrière dire un jour que la version intégrale était aussi grande que 40 fois la Bible. Peter Brook et Jean-Claude Carrière ont initié l’occident à cette oeuvre et l’ont portée sur scène en 1985, représentée pour sa première au Festival d’Avignon. La durée de la pièce était de 9 heures.

En 2015 Peter Brook, toujours accompagné de Jean-Claude Carrière, monte une nouvelle pièce, adaptée d’un passage du Mahabharata. Ce passage se déroule au lendemain d’une bataille sanglante. Dans les deux camps l’on compte ses morts et l’on pleure ses pertes. Il est un passage préalable qui se déroule bien avant la grande bataille. Ici un des personnages principaux de l’histoire est confronté au dieu de l’ordre de l’univers, Dharma (dans le sens hindouiste du Dharma). La divinité pose une suite de questions au personnage. Le personnage répond du tac-o-tac. Parmi ces questions et réponses il en est une qui a attiré l’attention de Peter Brook :

– Qu’est-ce-que la guerre ?

– Une défaite.

Eh oui, que l’on soit gagnant ou perdant d’une guerre, on est toujours, tous, perdants… Il nous fait vivre cela. Le sens, ou plutôt le non-sens de la guerre. La pièce terminée un silence magistral a retenti de la salle. Pour ma part j’avoue avoir été totalement retournée durant la pièce, comme si une forme de rédemption générale et de sens du pardon étaient contenue dans le spectacle. Les spectateurs l’ont reçu. Et probablement il serait bon que tous les hommes de pouvoir du monde assistent à une représentation de Battlefield. Vous pourrez écouter Peter Brook parler de cette pièce dans l’émission radio qui date de l’automne 2015, période durant laquelle on pouvait voir Battlefield à Paris aux Bouffes du Nord.

Bonne lecture et bonne écoute des mots de Peter Brook !

La pièce « The Prisoner » est à voir à partir du 6 mars 2018 au Théâtre des Bouffes du Nord.

Je vous invite également à écouter les 20 premières minutes de cette autre émission radio où Joëlle Gayot parle magnifiquement de la pièce de théâtre Batttlefield. Mais je vais écrire prochainement un article sur le thème central traité dans cette pièce et reviendrai donc sur le sujet.

DU BOUT DES LEVRES
(Tip of the Tongue)
Peter Brook
Traduit en français par Jean-Claude Carrière
éditions Odile Jacob, parution 24 janvier 2018