« Rappelle-toi ce qu'écrivait Khalil Gibran, dit Mama. "Voyage et n'en parle à personne, vis une véritable histoire d'amour et n'en parle à personne, vis heureux et n'en parle à personne. Les gens abîment les belles choses."
- Je ne voix pas ce que tu veux dire, Mama, dit Yara en s'engageant sur Jefferson Road.
- Bien-sûr que si, rétorqua Mama. »
L'histoire se déroule aux États-Unis, en Caroline du Sud. Yara est mère de famille, son mari est entrepreneur. Elle-même travaille et enseigne l'art à l'université. Yara se débat pourtant face à cette image de la famille idéale, de la vie facile qui serait son lot d'après le dire de son entourage. Le lecteur la suivra une année durant dans cette phase critique de sa vie.
Chaque scène du roman transmet au lecteur un quelque chose de la vie de Yara, de celle de son mari, de celle de ses deux filles, de celle de ses beaux-parents mais aussi, et surtout, de son passé, de son enfance, du couple que formaient ses parents, sans oublier sa grand-mère qui aura choisi de rester en Palestine quand bien même délogée de chez elle et installée dans un camp.
Mais Yara a enfoui les souvenirs les plus douloureux, elle vit dans son silence solide et protecteur. Un incident au travail la forcera à parler, lui permettra de se lier d'amitié avec un collègue qui ne lui ressemble en rien, si ce n'est dans le désir d'être lui-même et ne pas se recroqueviller dans un enfermement mental.
Et puis Mauvais Oeil permet d'entrer dans l'intimité de la femme orientale, et de toute femme, de tout homme déchiré entre deux cultures. L'une étant héritée, l'autre issue d'une formation et construction personnelle ... tant que le gouffre entre les deux n'a pas été confronté il peut s'avérer difficile voire impossible d'exercer sa liberté dans un monde de plus en plus exigeant et divisé.
Dans ce roman il n'est pas de fuite possible. Le personnage principal fait le choix de regarder sa souffrance et y faire face. Avec finesse et délicatesse l’écrivaine invite le lecteur à en faire de même. Parce que le livre est lumineux, parce qu'il ne juge jamais, il fait honneur à la littérature et comble son lecteur.
Mauvais Œil
(Evil Eye)
Etaf Rum
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Diniz Galhos
éd. de l'Observatoire 2025
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.