Terre somnambule, de Mia Couto

« - Tu ne sais pas, mon fils. Mais pendant que les hommes dorment, la terre cherche.
- Elle cherche quoi, père ?
- C'est que la vie n'aime pas souffrir. La terre cherche à l'intérieur de chaque personne, elle rassemble les rêves. Oui, comme si elle était une couturière de rêves. »

En ce début d'année 2025 paraît une réédition, et nouvelle traduction, de Terre somnambule, premier roman de l'immense écrivain lusophone mozambicain Mia Couto. C'est un joyau de la littérature africaine qui nous arrive ainsi entre les mains, riche de tous les ingrédients savoureux désirés : inventivité de la langue, construction subtile qui entretisse les malheurs terrestres avec la vie de l'invisible, ses esprits, ses légendes, sa magie et toujours des personnages sublimes. Le lecteur français est tout particulièrement gâté : la traduction stupéfiante de beauté d'Elisabeth Monteiro Rodrigues à elle seule vaudrait un article élogieux sur nos pages.

L'histoire narrée est simple et touffue à la fois. Nous suivons les aventures d'un homme d'âge mûr accompagné d'un adolescent. Le pays est plongé dans une guerre civile sanglante interminable. Nos deux protagonistes se réfugient dans un bus calciné abandonné en travers de la route. Le garçon, Muitinga, atteint d'amnésie depuis que l'homme l'a sauvé d'une mort certaine veut retrouver ses parents. L'homme, conscient des dangers encourus sur la route leur choisit des itinéraires qui les font revenir invariablement vers leur bus. En chemin, chaque jour, ils vivront des aventures extraordinaires et croiseront des personnages haut en couleur.

Mais l'histoire narrée est double. Tout près du bus calciné le garçon trouve une valise dans laquelle il déniche des cahiers. Un autre garçon, lui aussi confronté à la guerre civile y raconte son histoire. Ainsi, chaque soir Muitinga va lire à voix haute un épisode de la vie de Kindzu, l'auteur du journal, tout aussi riche en surprises que ses propres journées. Les deux aventures s'entremêlent dans l'imaginaire du lecteur et donnent plus encore d'étoffe à ce tendre roman.

Les lecteurs qui se sont passionnés autrefois pour La route de la faim de Ben Okri seront enchantés par Terre somnambule. Et les autres se laisseront envoûter par cet univers merveilleux et fantastique qui met en scène pareillement l'esprit d'un père mort et vivant, d'un arbre habité, d'un bateau naufragé ... tous mus de superstitions, croyances et mythes plus réels et présents que la mémoire et l'action des protagonistes.
Surréaliste, épique, enchanteur, le roman est pourtant au service de notre pauvre humanité. C'est l'absurdité de la machination humaine et les souffrances induites qui sont mises à nu. Surtout, c'est la richesse et le mérite d'une terre, d'un pays, d'un continent qui se racontent. L'épuisement d'un monde s'exprime par la disparition du village, au centre de tout.

Terre somnambule, paru en 1992 dans sa première édition, est toujours d'une grande actualité. Lauréat du Prix Neustadt - distinction plus remarquable peut-être que le Nobel - Mia Couto est un grand conteur, subtil et intelligent penseur. Son œuvre littéraire remarquable est intégralement traduite et publiée en français par les éditions Métailié.

TERRE SOMNAMBULE
(Terra Sonâmbula)
Mia Couto
Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues (Nouvelle traduction)

éd. Métailié 2025 (v.o. première édition 1992)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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