S’aimer dans la grande ville, de Sang Young Park

« Est-ce la sensation que ressentirent les amants de Pompéi quand ils furent recouverts par les nuées ardentes ? Quelque chose de brûlant m'a happé et le monde s'est figé un instant. Spinoza avait dénombré quarante-huit émotions. Laquelle d'entre elles étais-je en train de vivre ? Le désir, la joie, l'émerveillement, l’embarras ? Et lui, que ressentait-il ? Un mépris teinté de curiosité ?. »

L'écrivain sud-coréen Sang Young Park avait été remarqué dès la parution de son premier recueil de nouvelles, lauréat du New Writers Award. Le lecteur français peut enfin découvrir cette plume prometteuse avec la parution en cette rentrée littéraire 2024 de son roman traduit S'aimer dans la grande ville. Drôle sans en avoir l'air, tendre de sa douceur mélancolique, le livre nous offre une plongée dans la vie nocturne moderne de Séoul, le quotidien et les amours fantasques du narrateur Young et de sa meilleure amie et colocataire. Rafraîchissant et délicat le roman nous éclaire aussi sur les réalités de l'homosexualité vécue en Corée, et plus globalement le désenchantement progressif d'une jeunesse étincelante en prise avec les conventions de la société humaine.

Le roman se découpe en trois parties. Une première partie s'ouvre sur le mariage de Jaehee, meilleure amie et confidente de Young. Une deuxième partie viendra éclairer les sentiments du narrateur que nous aurons commencé à pressentir dans les cinquante pages précédentes. Une troisième partie ferme le récit d'un après toutes les aventures flamboyantes que nous aurons traversées au côté du narrateur durant ses années de jeunesse dissolue. Et c'est seulement dans l'après que nous réaliserons le drame anodin de cette vie. Un chemin de maturation et de désillusion, fera de cette vie une histoire poignante et universelle.

La beauté du récit prend sa source dans la discrétion et la sincérité du personnage principal. Jeune homme puis homme jeune et in fine adulte il paraît toujours détaché. Homme de peu de mots qui ne sait que taire ses sentiments, il est si fêtard, si épouvantablement drôle qu'on pourrait lui prêter légèreté, indifférence voire inconséquence. Ce serait bien mal le saisir... mais il aura fallu au lecteur d'être parvenu aux termes du récit pour le percer enfin, et comprendre cette vie humaine à l'instar de tant d'autres ou peut-être de cette minuscule minorité de gens qui respectent la liberté d'autrui au détriment de leurs intérêts. Tout comme il ne formule pas ses émotions, il ne se l'avoue qu'a posteriori.
De très beaux passages, bien loin de toutes celles qui nous font naviguer dans les mille lieues de divertissement ou dans la vie de couple qu'il partagera avec celui qu'il aime, mettent en lumière les relations de Young avec sa mère. La gravité de l'une force l'apparent détachement de l'autre. Mais là encore, l'amour n'est pas la chose qui se livre en bavardages et grandes phrases éloquentes. L'amour comme l'amitié au sein de S'aimer dans la grande ville sont dans les actes et les décisions.

Roman savoureux que l'on ne pose pas avant de l'avoir terminé, ce livre témoigne d'une subtilité et d'une orchestration talentueuse qui lui ont valu d'être dans la deuxième sélection du prestigieux  prix littéraire International Booker Prize. La traduction française est tout aussi réussie que le roman.

S'AIMER DANS LA GRANDE VILLE
Sang Young Park
Traduit du coréen (Corée du sud) par Kyungran Choi et Pierre Bisiou

éd. La croisée 2024
Sélection International Booker Prize
Sélection Prix Médicis roman étranger 2024

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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