Mesopotamia, d’Olivier Guez

« Elle a transformé la fiction romantique en réalité géopolitique, et respecté le vœu qu'elle avait fait à l'enterrement de son grand-père, fidèle aux goûts de l'effort et de l'exploit de sa famille : elle aussi a créé un petit empire. Elle tire ses ficelles. Elle en est la reine sans couronne. »

Roman géopolitique extrêmement bien documenté, Mesopotamia d'Olivier Guez - qui avait été le lauréat du Prix Renaudot pour son précédent roman La disparition de Josef Mengele - nous enchante par sa grâce. Paru en cette rentrée littéraire 2024, le récit arrive nous parvient au moment où nous aimerions mieux comprendre ce qui se joue au Moyen-Orient, et cette lecture sera bien instructive, sans pour autant oublier de nous offrir le plaisir de lecture toujours désiré secrètement.

Pour saisir les événements politiques d'aujourd'hui le livre nous plonge au début du siècle dernier, au côté d'un personnage haut en couleur. Nous partons sur les traces de Gertrude Bell une quinzaine d'années durant, schématiquement entre 1910 et 1926. Cette femme à la destinée exceptionnelle est peut-être une des grandes oubliées de l'Histoire mais en sa compagnie nous côtoierons aussi le fameux Lawrence d'Arabie et la crème mondaine britannique de l'époque : les militaires, les services du renseignement, les familles, amis et autres personnages historiques.

Qui était Gertrude Bell ? Archéologue, grande voyageuse et fervente âme investie du grand projet de l'Empire britannique aux bras très étendus en Asie. Surtout, c'est un esprit libre, un être hautement érudit à la sagacité hors pair. Mais cela seul ne ferait pas un roman savoureux. L'écriture est ici d'une grande poésie. Les traversées du désert sont apaisantes. Et le récit de cette vie est poignante, le lecteur est ému en suivant les pas d'une amoureuse de la vie, si malmenée pourtant dans les affaires du cœur. Et les hommes dont elle s'est éprise valent le détour pour l'intense parfum romanesque qui en émane.
L'autre grand intérêt de cette lecture, comme nous l'avons souligné au début de cette chronique est de nous dessiner construction du Moyen-Orient, le tracé de ses frontières il y a un siècle, l'établissement de ses pays États brodés de toute pièce par la diplomatie occidentale. Quant aux enjeux politiques et économiques qui ont donné lieu à ces découpages, vous vous en doutez, se réduisent à quelques mots : le pétrole, les ressources naturelles et les affres de la colonisation. Les acteurs locaux et groupuscules influents sont merveilleusement narrés, revêtus des mille couleurs qui les caractérisent.

La structure multi-chronologique du livre permet au lecteur de saisir en des moments différents la vie de Gertrude Bell et l'installation des pouvoirs en place dans cette Mésopotamie où sera créé l'Irak. L'ensemble s'avère d'une cohérence sans faille et donne de la profondeur à tous les éléments constructifs du roman.
Un bonheur de lecture qui nous donnera des frissons d'effroi au regard des conséquences géopolitiques incandescentes de nos jours.

MESOPOTAMIA
Olivier Guez
éd. Grasset 2024

Sélection Prix Max Gallo,
Sélection Prix Castel
Sélection Prix des écrivains de marine
Sélection Prix des Visionnaires

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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