« Saisir le violet ultime de tes plumes »
Masahisa Fukase n’a pas seulement cherché la réalité. D’une certaine façon il l’avait cernée lorsqu’au tout début de sa carrière il avait gagné sa vie en pratiquant la photo documentaire, pour de grandes entreprises qui renaissaient après les destructions de la Seconde Guerre Mondiale. Non, il voulait autre chose : « C’en était fini d’illustrer, il fallait maintenant exprimer dans tous les sens du terme. Tout exprimer. Les souffrances, l’angoisse, la détresse, les pulsions inavouables. Affirmer avec outrance. Déformer les corps. Transgresser l’interdit. Et, bien sûr, tendre le dos à la censure ». Les ambitions de Fukase, ou son programme, ont été remplis jusqu’au terme de son existence. Il n’a cessé de jouer avec les limites mais ce jeu était voulu, contrepoint à une mélancolie qui ne le quittait pas. L’époque aussi le voulait : ses portraits de Miyuki-zoku, ces rebelles qui dérangeaient le Tokyo de 1964 ne sont pas faits pour plaire. C’est l’été des Jeux Olympiques, premier événement international après la guerre et la ruine du Japon. Le pays veut offrir au monde la plus belle image possible. Il y parviendra, comme on bâtit des villages Potemkine. Quand des J.O. se déroulent, tout devient aisé. Le pays est en pleine croissance, la consommation bat son plein, il n’est pas de ce monde.
L'homme au corbeau - Masahisa Fukase
Sophie Gallé-Soas
éd. Arléa 2024 - collection La rencontre
Article de Norbert Czarny.
Norbert CZARNY a enseigné les Lettres en collège, il est critique littéraire et écrivain. Ses articles sont disponibles à La Quinzaine littéraire, En attendant Nadeau et L’École des Lettres. Son dernier livre, Mains, fils, ciseaux, éditions Arléa, est paru en 2023.