Poids plume, de Mick Kitson

Vous allez me dire "encore un roman de boxe !", et vous n'aurez sûrement pas tort, surtout que c'est encore une fois un coup de cœur pour moi et je suis certaine qu'il le sera tout autant pour vous aussi : Poids Plume de Mick Kitson vient de remporter le Prix littérature et sport Jules Rimet 2022.

Nous sommes dans l'Angleterre du milieu du XIXème siècle, en pleine révolution industrielle. Les grèves, les rues sales et l'air pollué par les fumées emplissent ces pages, dans lesquelles la classe ouvrière n'est pas épargnée. Au milieu de tout ça, nous découvrons Annie, une jeune fille rom dont le père est décédé depuis peu au début de notre histoire, et dont la mère se sent obligée de la vendre lors d'une foire aux chevaux. Très pauvre et de nouveau enceinte, la mère d'Annie se voit dans l'obligation de l'abandonner si elle veut pouvoir parvenir à nourrir ses autres enfants et ne pas perdre celui qu'elle porte.
L'enfant au caractère déjà bien affirmé et consciente des sacrifices dont il faut savoir faire preuve dans la vie, ne rechigne pas devant son triste sort. Heureusement pour Annie, elle va attirer l'attention de Bill Perry, surnommé le Slasher de Tipton, un grand champion de boxe qui ne l'achète pas pour en faire une esclave domestique mais bel et bien sa fille adorée. Le sportif habitué à la bière dès le réveil, à la gueule terrifiante, possède un cœur aussi tendre que ses poings sont puissants. Pour Bill, il y  a plusieurs choses qui sont sacrées, particulièrement la reine d'Angleterre et sa chère Annie.

Annie va grandir, entourée d'ouvriers et de personnages en tout genre, dans le bar que Bill s'est acheté avec les gains d'un combat. Petit à petit, la compagne du boxeur lui apprend les rudiments du noble art et l'entraîne chaque jour. Car Annie comprend vite que dans ce monde, une femme doit savoir se défendre.
Comme si ça ne suffisait pas, Bill est un vrai panier percé qui offre à tout va des tournées de bières, ce qui fait que la famille accumule de nombreuses dettes. Mais Annie ne se contente pas de son talent de boxeuse qu'elle travaille assidûment. Elle apprend aussi à lire et à écrire auprès des filles d'un révérend, et se passionne pour la poésie de Burns et les histoires de Dickens, qui sait si bien raconter la vie des pauvres gens « et de ceux qui étaient victimes des cruautés du destin alors qu’ils avaient rien fait de mal.  ».

« Son énorme tête semblait avoir été taillée dans la roche, avec la couleur et la texture d'un affleurement de grès stratifié, et le maçon qui avait façonné ce faciès désolé et plein de bosses avait dû être, comme le Marinier l'avait fait remarquer en de nombreuses occasions, soit aveugle soit ivre mort. »

Les manufactures de clous, les usines, les grèves, l'ambiance et le contexte historique font de ce roman bien plus qu'une simple histoire de boxe. Le sport est en arrière-plan, un fil rouge qui aide Annie et tant d'autres personnages à s'extraire de leur condition sociale. La relation entre Bill et Annie, le sort réservé à ses frères et sœurs, et l'histoire d'amour entre Annie et Jem, un jeune boxeur au visage préservé de toute trace de coups,  rend le tout extrêmement touchant.
Et puis, n'oublions pas un personnage mystérieux, surnommé Black Cloak, qui détrousse les riches ou les collecteurs de paies. Qui est-il ?

Mais la surprise est immense à la fin du roman, lorsque l'auteur nous livre quelques notes dans lesquelles il nous raconte que la fameuse Annie Perry était son arrière-grand-mère, petite fille de William Perry le Slasher de Tipton (1819-1880) !
Personne ne serait mieux placé que Mick Kitson pour vous conter cette histoire, je laisse ici ses propres mots « Quand nous étions enfants, mon frère et moi avons entendu d'innombrables histoires sur le Slasher, y compris l'histoire de sa petite fille Annie qu'il avait achetée dans une foire quand elle avait sept ans. Ces histoires faisaient toutes partie d'une mythologie familiale élaborée par ma grand-mère, Mollie Kitson. En dehors de la lignée familiale - pour autant que j'aie pu en juger - aucune des histoires qu'elle racontait n'était vraie. Mollie était une inventrice invétérée d'histoires qu'elle jurait avoir vécues et qui n'avaient aucun fondement dans la réalité. (...) Je la remercie de m'avoir transmis l'envie et la capacité d'inventer des histoires ».

« Apprendre à lire, c'est comme apprendre à boxer. Faut  voir ce qu'une chose veut dire, et une chose veut pas forcément dire deux fois pareil, ni trois fois. Comme une épaule gauche baissée veut pas forcément dire qu'une droite va suivre et quand un homme recule en secouant la tête, ça veut pas forcément dire qu'il est blessé. »

Annie se sent obligé de se battre lors de combats clandestins pour maintenir à flot sa nouvelle famille. Bill, qui perd la vue, est incapable de se battre à nouveau. Les messages du roman sont nombreux, se partageant entre espoir, cruauté d'un monde nouveau qui écrase les plus faibles (ouvriers, femmes, enfants …) pendant que certains nobles s'offrent des soirées placées sous le signe de la luxure.
Le style de l'écriture change en fonction des personnages, et la traduction n'a pas dû être une mince affaire. Absence de négation, phrases hachées ponctuées d'expressions ("et tout"), Annie évolue en même temps que son éducation et son vocabulaire. Le langage des ouvriers tranche avec celui des plus aisés, et cette vaste galerie de personnages dresse un portrait fait de suie de l'Angleterre du XIXème siècle.

POIDS PLUME
Mick Kitson
Traduit de l'anglais (Ecosse) par Céline Schwaller

Bibliothèque écossaise dirigée par Keith Dixon
éd. Métailié, 2022
Lauréat Prix littérature et sport Jules Rimet 2022

La photographie en tête de l'article est d'© Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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