Tibi la blanche, de Hadrien Bels

« Plus rien ne se passera. Dieu a fait entrer le roi Youssou N'Dour en scène et personne ne se battra en sa présence. (...)
La musique n'a pas de frontière, chante le roi. »

Certaines histoires, portées par une langue vivante et enjouée ne s'inventent pas. Elles se communiquent depuis le cœur d'un écrivain vers celui du lecteur, qui sera ravi .. enchanté. Telle est la magie de Tibi la blanche. Hadrien Bels nous dit les choses graves avec la candeur et la légèreté propres à ses personnages, adolescents. Imagé, coloré, drôle, le récit est peuplé de traditions ancestrales côtoyant les réalités contemporaines. Un vrai délice comme on aimerait en savourer tous les jours. Pas étonnant que ce roman de la rentrée littéraire soit finaliste du Prix Landerneau que j'aime tant.

Le roman s'ouvre sur une journée presque ordinaire de Tibilé. Dans quelques jours elle va avoir les résultats de son baccalauréat. Elle rêve déjà de quitter le Sénégal, partir en France pour y faire ses études et s'extraire de ses mille petites obligations au quotidien, au sein de la famille. Mais cette journée l'emmènera, pour la première fois de sa vie, chez un marabout ; des obstacles vont s'ériger sur ton chemin, la prévient-il. Ses meilleurs amis, Issa et Neurone, attendent aussi leurs résultats de fin d'études secondaires. Chacun s'est tissé des projets pour son avenir, et les deux garçons sont amoureux de leur meilleure amie Tibi. Le lecteur les accompagne durant ces quelques jours fatidiques où leur destinée semble se jouer, et où bien des surprises les attendent. C'est ainsi que l'écrivain nous plonge dans les mille moments de grâce ou de frayeur qui constituent les vies des habitants de Thiaroye, quartier proche de Dakar. Il nous expose aussi, sous des atours amusants, une réalité plus profonde, celle des communautés que tout rapproche et sépare à la fois.

Tibi la blanche nous prend par la main. Dès les premières pages nous sommes happés, envoûtés, et instantanément transportés dans les ruelles et les maisons du quartier. Le parler de chacun, les tissus des boubous, les nourritures, les odeurs, les couleurs, les mille échos sonores .. tout cela nous entoure. On les voit, on les entend, on dialogue avec eux, et l'on rit beaucoup. En cela le roman est une promenade, un voyage, dans ce qui fait l'âme d'un lieu. Et après tout, c'est un des miracles de la littérature, de savoir nous emmener dans un ailleurs, qui existe, et dans lequel nous sommes projetés, tout comme si l'on s'y trouvait.
Mais si le roman parvient à nous conquérir très vite c'est aussi au travers de ses personnages, si parfaitement incarnés. L'effrayante Aïcha, la maman de Tibi, ou Baba, son père toujours en retrait mais toujours lucide bien qu'il se laisse influencer par sa femme, Monsieur Thiam le marabout, la famille influente de Neurone, la riche pauvreté d'Issa, l'énigmatique cousin Jacob, et tous les autres membres de ces familles, et les histoires de chacun .. s'animent en nous et nous offrent de comprendre un monde. Tout ce temps on a le sourire, on est soi-même redevenu adolescent, prêt à croire en la liberté que nous offre un diplôme, à l'échappée que représente la sortie de l'adolescence. Nos trois personnages, bien différents les uns des autres, nous offrent les différentes facettes d'une même vie. Les codes de chaque ethnie d'appartenance, de nos trois petits héros vaillants, ne leur permettent pas, pourtant, d'être un.

Tout peuple a ses réalités et ses diversités. Cela seul fait peut-être la beauté du monde, et son étrangeté. Et c'est la chose même qui est toujours indicible, à moins de tomber dans des travers polémiques. Or Hadrien Bels, avec une langue de l'oralité maîtrisée, sait brasser l'ancestral et l'actuel, porter les voix humaines et les battements de cœur, en littérature. Tout semble relever d'une simplicité enfantine et n'en est que plus remarquable encore.

TIBI LA BLANCHE
Hadrien Bels
éd. L'Iconoclaste 2022
Finaliste Prix Landerneau 2022
Invité de notre festival Littérature et Oralité, Mille Voci è Mille Scritti 2022

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Elise Fitte Duval,
- Alioune Diane (en train de réaliser son œuvre).

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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