« Oh, je n'étais nullement offensée. Je voulais juste faire remarquer que l'insulte survient le plus souvent lorsque quelqu'un a le dessous dans une discussion. Et vous essayez de coller des étiquettes sur moi. Je ne suis pas une malle de voyage. »
Le roman s'ouvre sur la toute première rencontre du narrateur avec Elizabeth Finch. Neil a trente ans, il vient de reprendre les études. Son premier jour de cours de « Culture et Civilisation » nous est ainsi rapporté. Cette femme, leur professeure, le marquera à jamais. Il en sera secrètement amoureux toute sa vie, et surtout, il suivra mentalement son enseignement tout au long de son existence.
Neil reste en contact avec elle, après la fin de ses études, et également par la suite. Il apprendra à son décès qu'elle lui a légué tous ses carnets et ses livres. Il entreprend une enquête, tente de mieux la connaître, de percer son secret, ses mystères. Le lecteur l'accompagne dans ces recherches, une quête qui le fera replonger dans les livres d'histoire et dans la littérature pour trouver les inspirations premières, le fondement de la pensée de son illustre et adorée professeure. Naturellement il aura le sentiment de n'avoir pas été à la hauteur du temps de son vivant et cela le poussera à écrire ; son récit étant destiné à rendre grâce, et hommage, à Elizabeth Finch.
Connaissez-vous l'histoire de Julien, l'empereur romain dit l'apostat ? Avant de dire, oui bien entendu, reformulons la question : connaissons-nous la vraie histoire de Julien dit l'apostat ?.. La deuxième partie du livre nous permettra de nous en approcher. Enquête passionnante fourmillant de citations, d'approfondissements, de contextualisations, ces pages se font fort de nous inviter - ou nous apprendre - à remettre en cause toute idée reçue, tout semblant d'information qui s'érige en vérité unique.
Eh oui, ce roman, et même ce personnage historique antique nous parle de notre actualité, de notre ère. Le plus drôle sera de réaliser pour la mille et nième fois que l'humanité a été la même de tout temps. Les solutions de facilité sont plus accessibles, et permettent à l'Homme de faire ses petits arrangements avec sa conscience et la réalité environnante. . Et ça ne date pas d'hier ! Alors cette partie du roman, qui pourrait s'apparenter à une thèse d'universitaire devient succulente, non pas simplement parce que l'on s'instruit mais parce que l'on jubile de l'horreur mise à nu. Et l'immense plaisir que procure la lecture de ce roman de la première à la dernière page est là, dans ce phénomène. La compromission, les jugements défaillants sont rayés de la carte, le temps du livre.
Elizabeth Finch est une envolée, une sublime échappée, dans l'univers de la liberté et du sens de la vérité. J'entends par là l'affreuse liberté d'agir dans la droiture, l'éprouvante quête éternelle des mille brins de vérité sans quoi on ne saurait voir un contexte dans sa globalité, avec ses paradoxes et ses contradictions. J'ai immensément aimé ce roman et le travail entrepris par l'écrivain Julian Barnes pour le faire exister. Avec ce texte l'auteur ne cherche pas à être aimé ou plaire en nous offrant une distraction. Il fait son travail d'écrivain comme E.F. a fait le travail de vivre honnêtement.
ELIZABETH FINCH
Julian Barnes
Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin
éd. Aux Rivages 2022
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.