1919. La France a perdu la guerre au détriment de l 'Allemagne. Ancien soldat, blessé de guerre pendant laquelle il a perdu un œil, Augustin Petit est décidé à relever son pays et à le laver des outrages commis par les horribles perchards. Pardon, les quoi ?
Les perchards. Les grands quoi ! Ben oui, c'est quand même pas difficile de se rendre compte qu'ils sont le (grand) problème de la France, c'est même d'ailleurs à cause d'eux qu'elle a perdu la guerre. Faut dire que leurs têtes dépassaient des tranchées, c'est évident.
Je vous ai perdu ? Pas de panique. C'est l'histoire racontée dans Je n'aime pas les grands, de Pierre Léauté. Ce professeur d'histoire nous offre une merveilleuse pépite uchronique qui a été pour moi un véritable coup de cœur.
Avec énormément d'humour et de dérision, Pierre Léauté présente un contexte que l'on pourrait trouver idiot ; la ségrégation des personnes jugées trop grandes. Et pourtant, serait-ce vraiment plus improbable que ce que l'on a pu connaitre dans les pires heures de l'Histoire ? C'était pourtant hier.
Je n'aime pas les grands est drôle, comme pouvait l'être Le dictateur de Charlie Chaplin. Je l'ai trouvé parfois assez proche de certaines lignes humoristiques, d'un ton, que l'on peut retrouver dans la série Kaamelott. Des uchronies sérieuses sur la défaite de la France ou la prise de pouvoir par des régimes totalitaires sont déjà très nombreuses (Le maitre du Haut Château, de Philipp K.Dick, Fatherland de Robert Harris ou encore le jeu vidéo Wolfenstein: The New Order). Cette dérision est un très bon choix, particulièrement bien réussi. La légèreté de ton contraste astucieusement avec les actes et les paroles des personnages, et surtout du tyran Augustin Petit. Pierre Léauté montre que l'on peut - que l'on doit - rire de tout. A la fin du roman, on peut trouver un lien renvoyant vers un livret pédagogique, confectionné par l'auteur et par Ronald Bousseau, illustrateur et auteur. Vous vous en doutez, je me suis empressée d'aller le télécharger.
Et là, je dis chapeau. C'est une idée géniale, on reconnait bien le professeur d'histoire passionné. Le livret est très riche, on y trouve bien évidemment des définitions, des explications, des illustrations et des rappels historiques nécessaires, mais aussi de nombreux questionnaires. Le livret commence d'ailleurs par un test, une expérience, pour connaitre ses réactions face à un régime populaire. L'auteur parle d'ailleurs de l'expérience de Milgram, à laquelle on ne peut s'empêcher de penser en lisant le roman, qui avait démontré en 1963 que 65 % des
gens étaient capables du pire en obéissant totalement à une autorité jugée légitime. Ce livret est un parfait outil pédagogique, rempli de référence et de documents historiques. Je peux vous garantir que je vais l'utiliser !
«- Parce que vous faites des assemblées générales !
- C'est un camps de concertation, donc je présume que …
- De concentration, bougre d'analphabète ! C'est un camps de concentration !
- Ah, mais je me disais aussi !"
Revenons-en à l'histoire.
Fort de sa haine contre les grands et les blonds, Augustin Petit a donc pris le pouvoir et monté le Parti des Plus Petits, avec pour emblème le poussin. Lui que ses ministres appellent Suprême s'est même fait couronner Empereur ! Il sème alors la terreur dans toute l'Europe, mais son propre pays n'est pas en reste ; les grands sont envoyés au granlags, on leur interdit toutes sortes de possessions et même le fait d'aller au cinéma car « ils gênent les plus petits assis derrière eux ! ». Légèrement monomaniaque, Augustin Petit décide même de raser la Tour Eiffel pour qu'elle ne fasse plus qu'un étage de haut ! Heureusement pour le reste du monde, il est entouré d'une belle bande de bras cassés qui vous feront mourir de rire, et qui ont le mérite de faire capoter certains des plans d'Augustin.
Le personnage d'Augustin Petit qui avait déjà sévi dans Morts aux grands et Guerre aux grands, les deux œuvres précédentes de l'auteur, n'est pas sans rappeler tout un tas d'autres dictateurs que Pierre Léauté prend d'ailleurs aimablement la peine de remercier à la fin de l'ouvrage. Car sans eux, le roman n'aurait pu voir le jour. Oui, l'auteur a le sens du détail, et ne quitte jamais le second degré. J'en veux pour preuve la - fausse - bibliographie qui conclue le roman, et qui regroupe une série d'ouvrages tous plus farfelus les uns que les autres. On trouve par exemple ; Tour de France et totalitarisme : fatal coup de pédale, Les mémoires de Depardieu - Oui, notre petit héros va en rencontrer, du beau monde - aux éditions ... J'ai bu. Ou encore Deuzio Levi (plus c'est bête et plus j'ai ri), avec son roman Si c'est un grand. N'oublions pas de nommer le périodique Clérical, nous voilà ! qui aura su narrer avec brio les aléas du règne d'Augustin.
Bras cassés ou non, certains ministres d'Augustin Petit lui sont dévoués, tout comme l'était sa femme au début de leur mariage. L'embrigadement est l'élément essentiel. Le roman nous montre comme il peut être si facile de baisser les bras, et que l'envoutement dont fait preuve le populisme est, et restera toujours un leurre dangereux.
Au lecteur de juger à quel moment les actions et les paroles d'Augustin deviennent condamnables, où s'arrêtent notre seuil de tolérance. Mais, au réveil, n'est-il pas déjà trop tard ?
«- Vous les connaissez ces vermines qui mangent notre pain !
- Les juifs !
- Les épiciers ! Ben oui, le mien vend le litre presque un franc.
- Ouais les épiciers aussi !
- Surtout les épiciers juifs !
- (...) Non, le véritable ennemi de la France a prospéré en son sein (...). Les grandes perches ! Ils ont précipité la France dans le marasme ! Nuls pour le camouflage, mangeant les rations de leurs camarades, ils nous ont fait perdre la guerre !
Augustin Petit va rencontrer de nombreuses personnalités au cours de son règne ; Clémenceau, à qui il donne une paire de baffes, Jacques Villeret - l'Empereur est très vexé de voir qu'il a été choisi pour l'interpréter au cinéma - , Pierre Bellemare ( que l'auteur avait réellement rencontré pour le roman !) ou encore Churchill, avec qui il initiera un combat de boxe. Pour les évènements, l'auteur n'a malheureusement pas eu besoin d'inventer beaucoup de choses. Il n'a eu qu'à piocher dans les sombres pages de l'Histoire de l'Europe. Si l'on évoque une bagarre qui a éclaté en plein match de Water polo, opposant l'URSS et la Hongrie, en 1956, cela pourrait prêter à sourire. Et pourtant …
En utilisant l'humour, le roman nous met face à nous-même. En plein dans l'actualité - mais à quel moment pourrait-il ne pas l'être - on en arrive forcément à penser à une certaine famille française lorsque la petite-fille d'Augustin Petit fait son apparition pour terminer l'œuvre fasciste de son grand-père.
Il ne faut jamais se laisser berner, se laisser attendrir ou dédramatiser. Il faut savoir rester vigilant, car si le fait de détester les grands peut prêter à sourire, tout est crédible. Et tout se met en place. Le "petisme" et le manifeste d'Augustin Petit, Mon destin, sont fictionnels par le nom, pas par la forme.
D'ailleurs, au cours du roman, d'autres partis bâtis sur la haine tentent de percer, comme par exemple celui contre les vieux qui, par exemple, choisiraient toujours les belles tomates du marché, ne laissant aux autres que les blettes. Un bouc émissaire en chasse toujours un autre, et le ventre est toujours fécond.
La photographie en tête de l'article est d'© Amalia Luciani pour Kimamori.
Article d'Amalia Luciani
Historienne de formation, elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.