La pêche au petit brochet, de Juhani Karila

« J'aime bien pêcher et regarder les oiseaux »

Ce roman est un de mes grands coups de cœur de la rentrée littéraire 2021. Je me suis délectée, j'ai été immédiatement happée, j'ai ri, été intriguée puis charmée par les extravagances de cette Laponie orientale. Mais ce n'est pas tout ! J'y ai trouvé un regard sur le monde et sur l'individu qui me plaît.
Je ne voudrais pas que vous preniez mes mots pour un enthousiasme creux. Voici une citation qui vous éclairera sur mon ravissement : « Karila écrit de la littérature mondiale dans un esprit carnavalesque rabelaisien et avec des personnages dignes de Don Quichotte. (Jussi Leinonen). » On la compare aussi à Arto Paasilinna mais il me semble que ce récit s'approcherait davantage de L'Homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirahk.
L'écrivaine Juhani Karila invite dans son récit les croyances et légendes ancestrales de sa Laponie natale pour mieux ramener l'Homme sur terre. Grand dessein dans lequel elle s'inscrit sans jamais trop se prendre au sérieux.

Elina Ylijaako vit et travaille à la capitale. Mais chaque année elle revient chez elle en Laponie orientale pour pêcher le seul et unique brochet de l'étang du Pieu, situé à côté de sa maison d'enfance. Dès le départ nous comprenons qu'il y a une urgence et une nécessité absolue dans cette tâche et qu'elle dispose d'un temps limité pour la mener à bien. Or cette année-là les obstacles et difficultés lui donneront plus de fil à retordre que d'ordinaire.
Or, cet ordinaire lapon, justement, est bien difficile à comprendre pour les finlandais de passage, dont l'inspectrice Janatuinen envoyée en mission sur les traces d'Elina. Le lecteur apprendra à connaître le mode de vivre et de penser des habitants du village au fil des pages. Et ces habitants sont tant des humains que des créatures loufoques ou diaboliques. L'énigme ne sera résolue qu'à la toute fin du récit. Et en chemin, des retours sur les événements passés et les générations précédentes sont finement distillés dans le récit. Nous connaîtrons ainsi les parents d'Elina, son premier amour Jousia, ou des voisins, amis et ennemis .. un peu sorciers !

Le suspense est maintenu de la première à la dernière page ; le rire garanti à chaque pas. Et je peux vous rassurer, les habitants du village sont gens de peu de mots. L'évidence ici a plusieurs dimensions : celle locale qui ne pourra que nous surprendre, et l'autre, plus profonde et universelle qu'il nous faudra déchiffrer. Or, aussi farfelus que soient ces hommes et ces femmes, nous nous y attachons. L'inspectrice Janatuinen aurait sa place dans un Tarantino. Hibou, l'ami sans âge des parents d'Elvira, nous l'avons mille fois croisé mais ne saurions dire où. Quant à l'histoire d'amour qui sous-tend le texte, elle est éternelle et intemporelle. La psychologie humaine est tendrement choyée par l'écrivaine Juhani Karila. L'Imaginaire et le magique renfermement bien des surprises dans les nombreux rebondissements du livre, pour mieux nous susurrer quelques simples vérités.

Car oui, les monstres et divinités sont omniprésentes. Ils se transforment au fil du temps, et ont accès au monde de l'invisible. La traversée du miroir peut en revanche s'avérer fatale pour notre vaillante Elina.
Mais. Que l'on ne s'y trompe pas. De temps à autre une phrase ou un paragraphe surgissent dans le texte. D'une lucidité effarante, sous un ton tout à fait banal, la place de l'Homme et la durée de vie de l'humanité sont ramenées au dérisoire. Le temps de l'homme est déjà révolu, tous le savent, nous rappelle-t-on.. Je n'ai pas été surprise en lisant ces passages. J'ai été interpellée par mon acceptation de facto de la chose.
On pourrait dire que tout est un peu sens dessus dessous dans ce roman épatant ! L'invraisemblable est la loyauté rencontrée, la force des sentiments, la pérennité des liens enfermant le présent dans un passé déterminé. Et comme toujours la clé se trouve dans une entente, une compréhension mutuelle qui s'instaure, contre toute attente, entre des êtres que tout sépare a priori.

Je ne sais qui de l'ondin (créature maléfique à l'apparence translucide et automodifiable), du teignon (monstre-toutou), de la floche (esprit malin qui s'empare de l'âme de ses victimes en s'y plongeant à la manière d'un virus) ou d'Olli-Mangeclous (un esclave, homme à tout faire, abandonné sur une île qui s'est nourri de l'âme du monde) m'a le plus amusée. Je ne vous ai pas parlé non plus des sorciers de la région, au nombre desquels la mère défunte d'Elina !
L'imagination en action dans le roman est grandiose parce que tout s'imbrique parfaitement et ne cesse de nous réjouir dans l'avancement de l'enquête. La joie débordante qui s'empare de nous dans cette course effrénée et farfelue contre la montre m'a rappelé encore une fois que la lecture est d'abord et avant tout un plaisir immense. Et puis. Merci à l'écrivaine pour la sagesse distillée dans son texte, et merci à la traductrice qui l'a si merveilleusement rendue en français.

LA PÊCHE AU PETIT BROCHET
Juhani Karila
Traduit du finnois par Claire Saint-Germain

éd. La Peuplade, 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- C. Cenot,
- Wifredo Lam.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment