Tous les noms qu’ils donnaient à Dieu

Voyage, voyage !

Je me suis régalée en lisant ce recueil de nouvelles. Happée de la première page à la dernière, je remerciais intérieurement la jeune autrice Anjali Sachdeva de m'offrir une telle évadée hors du temps et de l'espace. Nous sommes plongés dans tant d'univers, lieux, questions vitales différents dans ces récits que nous ne pouvons qu'en sortir époustouflé. Comment fait-elle, comment a-t-elle fait ? La réponse est évidente : son imaginaire est vaste, sa perspicacité aigue. Et ses projections les plus fantaisistes, toujours, touchent à l'intime vérité humaine. L'art de la nouvelle n'a pas tant de secrets pour notre primo-écrivaine. Vivement son premier roman qui nous est déjà promis par l'éditeur !

La première nouvelle est mystérieuse, énigmatique à souhait : elle nous engouffre dans une grotte labyrinthique. Les deux dernières sont futuristes et versent dans la littérature de l'Imaginaire. Six autres nouvelles font le trait d'union entre le début et la fin. Chacune à son tour nous plonge dans des mondes actuels, d'hier et d'aujourd'hui. La deuxième nouvelle est exquise, et j'avoue que c'est en la lisant que j'ai été conquise. Puis j'ai compris qu'à chaque nouvelle histoire je serai transportée dans un nouvel ailleurs, un enchantement porteur d'autres surprises encore.
Le lecteur sera admiratif de voir une harmonie se tisser entre ces histoires, si éloignées les unes des autres : on reconnaît la patte de l'autrice. Son regard, son style, ses convictions, sa musique, sont partout amples et reconnaissables. L'unité du recueil se révèle précisément par le caractère qui les relie. Rappelons peut-être qu'Anjali Sachdeva, de père polonais et de mère bengali est née aux États-Unis, à Pittsburg. Elle est professeure d'anglais et initie ses élèves à l'écriture.
Ces écrits, naturellement, s'intéressent au monde, et mettent en lumière la magie des destins abreuvés de mille sources. Les personnages ici ont voyagé d'un pays à un autre, ou sont toujours restés chez eux, et pourtant aucune trajectoire ne s'en trouve anodine.

Si j'ai affiché ci-dessus une image à saveur archéologique c'est peut-être parce que l'on est dans les fouilles avec ce livre. Chaque histoire trouve son inspiration dans une figure ou un lieu légendaire, mythique, archétypal. Certaines histoires s'intéressent à une actualité politique ou une vie humaine modeste, et ce faisant, explorent une pensée, une peur, des mœurs, provenant de la nuit des temps.

Je prendrais pour exemple Robert Greenman et la sirène. Le personnage principal est pêcheur. L'histoire est tissée autour de la fascination de cet homme pour une sirène. Et pourtant rien n'est calqué sur les histoires de sirènes que nous avons déjà lues : ni la sirène, ni l'homme de mer ne collent à l'emploi, pour ainsi dire. Mais. Tous les ingrédients de départ y sont distillés ! 
Des fouilles archéologiques nous en trouvons justement dans la nouvelle Poumons de verre. Le personnage principal traversera bien des étapes dans sa vie avant de se révéler à nous dans le désert égyptien.
Je n'oublie pas de vous dire quelques mots de la nouvelle dont le nom a été retenu pour le titre du recueil, Tous les noms qu'ils donnaient à Dieu. Deux jeunes nigérianes sont enlevées par les islamistes. Le lecteur découvre leur histoire, l'avant Boko Haram, le pendant, l'après. Non, vous ne pouvez imaginer ce qui s'y trouve avant d'avoir lu la nouvelle, car sans rien inventer ni masquer de la réalité terrain de leur trajectoire entre les mains des islamistes, c'est un tournant bien étrange et tout à fait inattendu qu'y instille l'écrivaine. Fascinés, nous en serons retournés, et repenserons au fameux adage de l'arroseur arrosé ...
Dans la nouvelle précédente nous étions plongés en randonnée dans le Montana. Et la suivante nous cueille à Denver, dans le Colorado, pour nous emmener finalement en Floride !

Une juste dose d'effroi se laisse relever par de l'étrange bien maîtrisé dans toutes ces nouvelles. Elles se laissent entourer de quelque pincée de manipulation, de mensonge ou de dissimulation. Une tendresse vient alors vaillamment accompagner les rebondissements. Pour finir, un sens du juste et de possibilité de métamorphose humaine surgit de nulle part. Avec Anjali Sachdeva on ouvre ses horizons, sans souffrance, en prenant un immense plaisir aux multiples voyages que le livre nous offre.

TOUS LES NOMS QU'ILS DONNAIENT À DIEU
(All the Names They Used for God)
Anjali Sachdeva
Traduit de l'anglais (américain) par Hélène Fournier

éd. Albin Michel - collection Terres d'Amérique, 2021 (v.o. 2018)

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Fresques d'Akrotiri,
- Peinture d'Albena Vatcheva.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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