A la table de Yasmina, de Maruzza Loria et Serge Quadruppani

« Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie »

Imaginez les mille et une nuits vécues en sept soirs. Imaginez les spécialités culinaires enchanteresses de la Sicile. Imaginez la déclinaison de toutes les formes d'amour qui peuvent relier les êtres vivants. Faites-en un bouquet et envolez-vous sur le tapis volant formé par ses parfums et saveurs. Voilà. Vous êtes entrés dans ce livre, vous êtes assis A la table de Yasmina. Et cet objet littéraire des plus merveilleux, concocté avec soin par Maruzza Loria et Serge Quadruppani, vous assure plusieurs envolées, progressives et simultanées. Roman, contes, livre de cuisine, il est avant tout tissé de grâce et de beauté. Le fond, la forme, le contenu sont d'une valeur inestimables et, un régal absolu en notre palais de lecteurs passionnés. Et pour ma part, je suis si heureuse d'avoir fait sa rencontre grâce à notre Book Club thématique consacré à La Cuisine !

Nous sommes à Palerme, au XIème siècle. Le comte franco-normand Roger 1er vient de conquérir cette contrée et a décidé de s'y installer. Il a instauré une tolérance de toutes les confessions et de leurs pratiques. Or il apprend qu'un nommé Omar complote contre lui et cherche à l'assassiner, bien que le comte ait eu signé un accord de bonne entente avec le feu père du jeune homme. Nul doute qu'il sera puni, condamné à mort, et très vite. Sauf que. Les mère et sœur d'Omar vont convier le comte Roger de Sicile à dîner. La condamnation est naturellement reportée au lendemain. Et c'est ainsi que Yasmina, la sœur d'Omar, à la manière de la bien avisée Shéhérazade des mille et une nuits, cherchera à ravir les sens du comte, nuit après nuit, en lui contant des histoires, et surtout, en l'ensorcelant par les mets plus enchanteurs les uns et les autres qui constituent le menu de chacun des sept banquets narrés dans le roman. Au sortir de ces sept nuits, sera-t-elle parvenue à sauver son frère et sa communauté, sans perdre son honneur ?

Les deux auteurs Maruzza Loria et Serge Quadruppani souhaitaient faire connaître les spécialités culinaires de la Sicile, sans oublier de mettre en valeur les origines multiples de cette cuisine, dont celle arabe. Au départ ils avaient pensé écrire un livre de cuisine, riche de recettes. Mais cela ne suffisait pas. Pour comprendre une cuisine, il fallait d'abord avoir perçu, ressenti, l'âme qui l'habite. D'où ce roman aux charmes multiples, A la table de Yasimina.
Il s'ouvre sur un prologue, suivi de sept chapitres qui content l'histoire cadre, au sein de laquelle sont enchâssés tout autant de contes légendaires. Chaque chapitre s'ouvre sur le menu de la soirée. À la fin des sept chapitres, et du roman, sont insérées une cinquantaine de pages de recettes, où l'on retrouve tous les mets - ces fabuleux entrées, plats, desserts, sorbets, mises en bouche - qui ont été servis au comte Roger.

Il y a une autre dimension encore, à ce livre : l'Amour, ou devrais-je dire les amours. Les formes diverses et variées d'amour entre vivants sont explorées. L'amour filial, l'amour en amitié, l'amour courtois .. avec en ligne de mire l'Amour Parfait.
Mais voyez-vous, la sauce littéraire fait battre au cœur de chacun des chapitres tout ce dont je viens de vous parler : les ingrédients impalpables naviguent de concert tant en surface que dans les profondeurs cachées du dire ! Le menu de la soirée par exemple, et les mets savourés par le comte, jouent un rôle central dans le conte narré ce soir-là par Yasmina, lequel conte nous plonge dans les méandres de la forme d'amour dont il est question, et auquel correspondent très précisément les saveurs, épices et fruits des préparations culinaires portées à leur bouche ..
Eh oui, le tout est délicieux, et chacune des composantes de ce tout est exquis. Moi qui suis très éprise de contes, ai été transportée. Et tout en suivant l'histoire, j'avais en bouche les multiples saveurs siciliennes. De la boulette d'aubergine aux rougets à l'orange, des paupiettes siciliennes à l'espadon à la vapeur, en passant par la gelée de coing, les beignets de fromage, les cheveux d'ange au miel, les pâtes aux oursins, les calamars farcis à la braise, les beignets de feuilles de sauge et les cannoli à la ricotta .. Tout me faisait saliver. Et la fameuse Yasmina de détailler tel légume, fruit, herbe, et son sens.
Non, rien n'est fortuit. Tout est porteur de sens. Et l'alliance de toutes ces petites choses forme un grand dessein.

Recettes de cuisine, leçon de vie, traité d'amour et de tolérance, A la table de Yasmina est un peu tout ce qu'on aime quand on est lecteur. Voyage sublime assaisonné d'humour et dérision. Car, je ne vous l'ai pas encore dit. Mais il y a un personnage de bouffon dans le roman. Et ô comme je l'aime ce Giufa, comme il m'a fait rire, et n'a cessé de m'émouvoir par sa sagesse emprunte de justesse, que l'on qualifiera d'idiote .. de la lignée de ces grandes idioties sages qui savent nous sortir de ignorance.

A LA TABLE DE YASMINA
Maruzza Loria et Serge Quadruppani
éd. Métailié, collection Suites 2009

Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Peinture d'Amaury Dubois,
- Image issue du site Milli Culuri Sicile.
La photographie mettant en scène la couverture du livre est de © murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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