Coincé avec mon meilleur ennemi ?
J'étais passée à côté de ce livre, totalement. Mais à l'occasion de notre Book club thématique de février, avec pour thème La Neige, plusieurs lecteurs ont recommandé ce roman. Et je m'y suis plongée. Ah, nous sommes bordés de neige dans ce livre, et par moments ensevelis sous la neige ! Par certains aspects le récit se rapproche d'une dystopie mais en réalité c'est une histoire très humaine qui se conte dans ces pages : celle des relations qui peuvent se tisser, contre toute attente. Car parfois notre salut et notre survie passent par L'Autre, un inconnu, pour qui l'on n'est rien. Un roman très réussi qui de l'étrange se fait haletant puis émouvant.
L'histoire se situe dans un village de montagne. On retrouve une voiture accidentée. Le jeune garçon qui s'y trouvait est si abimé que tous préféreraient le laisser à son sort. Mais quelqu'un le reconnaît : c'est le fils du mécanicien du village, parti voilà une dizaine d'années. On décide alors de le soigner. Et puisqu'il n'y a plus de médecin sur place ce sera la vétérinaire et le pharmacien qui feront office de chirurgien et médecin.
Or le contexte du village, à ce moment-là, est assez singulier. Une panne d'électricité s'est emparée de la région. Les provisions d'essence et de vivres sont dangereusement diminuées. Et d'étranges rumeurs circulent sur la vie alentour, les réactions humines abominables qui se déchaînent déjà, chacun tentant de sauver sa peau, de partir, de penser à soi avant de veiller sur les autres. D'où leur désintérêt du garçon accidenté : il va épuiser toutes leurs ressources d'antibiotiques et d'analgésiques.. Le garçon sera confié à un homme étranger au village. Il se trouve là suite à une panne de voiture. Il veut retourner chez lui, rejoindre sa femme. On lui promettra de le descendre en ville avec la première expédition qui s'y rendra s'il soigne et veille sur le jeune homme. Le sort des deux est ainsi scellé. Et la suite du roman se déroulera dans ce huis-clos : la cabane en retrait du village où le jeune et le vieux cohabiteront jusqu'à nouvel ordre.
Le jeune homme accidenté, plus proche de la mort que de la vie, est le narrateur. Dans les premiers chapitres on le voit enveloppé de vapeurs de coma et de calmants. Il observe le vieil homme robuste et déterminé, Mathias, le soigner, le nourrir. Il l'écoute parler mais jamais ne répond. Et le temps se passe. La tension monte. Et la situation au village se détériore. Mais au fil du temps une relation, bien qu'ambiguë, s'instaure entre les deux. Ils parleront ensemble. Ils joueront aux échecs. Ils se méfieront l'un de l'autre, se maltraiteront parfois, mais aussi, dans les moments critiques sauveront l'autre d'une mort assurée.
La lecture du récit peut être perturbante par moments. Car c'est un peu une fin du monde dans laquelle nous sommes plongés. Progressivement les habitants quittent le village, en cachette, en volant l'autre, les autres. Personne ne peut avoir confiance en personne. Et notre étrange équipée dans la cabane à l'écart reçoit au compte-gouttes des rations de vivre, et des informations provenant du village. Mais surtout, il neige. Chaque jour.
Voyez-vous les chapitres portent des titres qui ne sont autres que des chiffres. Trente-huit au premier chapitre ; Deux cent soixante-treize au cœur du livre, de quoi s'agit-il ? Je ne vous le dirai pas, afin de vous laisser la primeur de la découverte ! Une choses est sûre, la neige mise en scène ici n'est pas synonyme de blancheur immaculée et poétique, mais bel et bien celle qui rend une atmosphère pesante et menaçante.
Alors pourquoi les lecteurs, dont moi, avons aimé ce roman ? Parce qu'il est crédible. Parce qu'il croque les profondeurs de l'homme au même titre que celles de la neige environnante. Parce qu'il comprend les nuances et la complexité de chaque vie. Et parce qu'il mesure la force de l'homme, ses ressources illimitées, sa persévérance indomptable. Et tout au fond de cet être humain il va chercher l'humanité qui se loge en lui, sans raison, gratuitement. En refermant le livre on se dit que, en effet, si l'on n'aide pas l'autre, on n'ira jamais nulle part soi-même.
LE POIDS DE LA NEIGE
Christian Guay-Poliquin
éd. de l'Observatoire 2018
(Canada éd. La Peuplade, 2018)
Prix France-Québec 2017
La photographie en tête de l'article est de © murielarie pour Kimamori.
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Peinture Marie-Josée Renault-Dujardin,
- Chalet de Bonneval-sur-arc par Stéphane Cervos.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.