Alliances, de Jean-Marc Ligny

Après AquaTM, Exodes et Semences, Jean-Marc Ligny nous offre en 2020 le quatrième tome de son ambitieuse saga climatique dans laquelle la planète a subi de terribles dérèglements, laissant les hommes lutter pour leur survie. Même si certains personnages se retrouvent dans les différents tomes, il n’est pas nécessaire d’avoir lu les précédents volumes pour comprendre et apprécier Alliances. C’est notamment le cas pour moi : mon voyage dans ces terres inhospitalières a débuté dans ces pages. Et ce fut un coup de cœur.

« Longs jours au bord du monde… Hors du temps qui passe, dans le temps qu’il fait. Recuit par le soleil, rincé par la pluie, poncé par le vent, grelottant dans la brume, transpirant sous le cagnard, marmonnant sous les étoiles. Ne comptant pas les heures, ne comptant pas ses pas, ne comptant que sur la chance pour survivre un jour de plus. »

Alliances nous fait voyager autant par ses personnages, complexes et attachants, que par ses décors. Les paysages défilent devant nous, transformés par un emballement climatique implacable. Toundra, oasis, des pays entiers ont été remodelés. Les chapitres racontent des pans de vie de tous nos protagonistes, avant que le destin ne les réunisse.
D’abord, il y a Tikaani, un inuit que l’on suivra de son adolescence jusqu’à sa vie d’homme mûr. Habitant en Islande avec sa communauté, il va décider de partir explorer les régions alentours avec Vinda, un éternel optimiste qui a mis sur pied un avion fonctionnant à l’énergie solaire. Ensemble, ils vont s’envoler en espérant découvrir d’autres survivants. Solveig, jeune femme qu’il aime éperdument, s’occupe d’insectes d’un nouveau genre ; des fourmites, un croisement entre des fourmis et des termites, créées par des scientifiques de leur communauté, des centaines d’années plus tôt. L’espèce, plus riche en protéine, servait de nourriture mais depuis, une sorte de communication et de pacte tacite de non-agression semble régner entre elles et certains humains sont capables de les comprendre ; c’est le cas de Solveig.

Ensuite, on trouve Ophélie. Guérisseuse dans un village, elle a fui après l’attaque de barbares cannibales. Depuis, elle vit dans la jungle et s’est promis de se tenir le plus éloigné possible des humains. En parfaite harmonie avec la nature, elle a pour compagnons un chat, une mygale, des corneilles et un anaconda. Rien que ça. Enfin, pour ne parler que des réels personnages principaux, même si le livre est rempli de héros secondaires tout aussi intéressants, on trouve le couple Denn et Nao, elle aussi possédant un lien particulier avec les fourmites, ainsi que Marali, ancienne esclave sexuelle.

« Elle se sent tellement mieux avec les animaux, bien qu’eux aussi aient leur lot de peines et de souffrances (mais jamais de cruauté). Souvent Ophélie se considère plus animale qu’humaine, au point de découvrir avec surprise qu’elle sait encore parler. »

Séparément, nous suivons Tikaani et Ophélie pendant des dizaines d’années, avec des bonds dans le temps, parfois de deux décennies. Leurs destins sont particulièrement émouvants. Elle qui a vu les pires atrocités venant des humains, lors de passages particulièrement durs du roman, communique avec les animaux qui l’entourent et soigne tous ceux qui ont besoin de son aide. Tikaani, lui, enchaîne les drames. Ses aventures lui font bâtir des foyers, qu’il perdra à chaque fois dans des conditions tragiques. Car l’homme ne semble plus être l’espèce dominante dans ce monde. À chaque voyage, sur chaque terre explorée, les fourmites semblent s’être répandues …

Il y a énormément de choses à dire sur ce roman. Chaque groupe met en lumière un aspect et un point de vue différent sur le déclin de l’humanité. Il y a ceux qui rejettent en bloc tous les héritages des « Âges Sombres » (vestiges de la modernité), ceux qui prétendent œuvrer pour mère nature en se débarrassant des Hommes, et enfin ceux qui veulent à tout prix faire renaître la civilisation telle que nous la connaissons, sans se soucier de recréer les erreurs ayant conduit à cette perte. La communication, l’écoute et le partage entre toutes les espèces est le fer de lance du roman. Avec respect, il y a de la place pour chacun si l'on cherche à vivre en bonne entente.
L’équilibre doit en effet être trouvé face à un danger menaçant tous les êtres vivants ; une centrale nucléaire fuit, semant infertilité et maladie à des kilomètres à la ronde. Pourtant, une petite communauté espère pouvoir la remettre en activité …

« En ce monde instable et changeant, l'être humain ne vaut pas mieux - ni moins - qu'un moustique ou un anaconda. Et ses chances de survie ne sont pas meilleures. »

Si écrire sur le changement climatique est dans l’air du temps, Jean-Marc Ligny le fait avec brio. La communication avec les fourmites est passionnante car truffée d’incompréhensions et de malentendus qui peuvent s’avérer dramatiques. J’ai beaucoup apprécié que l’on ne tombe pas dans un sorte d’anthropomorphisme car comme l’explique Nao, ces insectes particulièrement intelligents ne fonctionnent pas par sentiment, par haine ou par amour. La communauté réfléchit ensemble à ce qui est bon pour elle et pour sa survie, et si une entente avec les humains est bénéfique, un accord d’une certaine durée est envisageable. Créées au départ par l’Homme pour sa survie, les fourmites forment une communauté, voyageant et formant des clans à travers le monde, souvent aux dépens des Hommes.

J’ai réellement adoré ce roman. J’ai été séduite par le mélange des peuples et des cultures, et j'ai aimé que l’on s’éloigne d’un certain eurocentrisme. Le fait que l’un des personnages principaux soit un inuit a fini de me convaincre. Le style est épuré, on ne tombe pas sur des poncifs du genre, et les personnages sont loin de toute caricature. On s’y attache, leurs réactions nous semblent familières, compréhensibles. C’est magnifique, mais peut tout aussi bien être abominable : l’humanité se dévoile sous toutes ses formes.
À la fin du roman, l’auteur parle des longs moments qu’il a passé à observer certains animaux et insectes. Ce qu'il en a retiré se ressent dans le mouvement et les descriptions, mais inscrit aussi une sensibilité qui imprègne chaque page. Tout est vu avec bienveillance, jusque dans la fin de l’histoire où un avenir plus qu’incertain se profile pour l’humanité. Pourtant, même si les alliances entre espèces sont encore précaires et difficiles à maintenir, Jean-Marc Ligny semble nous inviter à avoir confiance …

ALLIANCES
Jean-Marc Ligny
éd. Atalante 2020
couverture : Leraf

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Baffin island, Lawren Harris, 1931
- Emily Carr, 1931
- Banksy
- The phantom, Dariusz Zawadzki, 2016

L'auteur de cet article et désormais chef de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :

Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.

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