12 récits futuristes avec du sexe, de l’amour et des robots tout nus
« Que faire si vous vous êtes fait hacker votre string connecté ? »
S’il y a bien un titre qui a suscité ma curiosité parmi les sorties de ces derniers mois, c’est bien ce recueil de nouvelles de Josselin Bordat. Certains livres arrivent au bon moment, et ce fut le cas pour celui-ci. Léger et drôle, il se dévore en quelques heures et la plupart des nouvelles ont le mérite de prendre forme à partir de problématiques qui commencent, dès à présent, à voir le jour. Rien ne semble réellement irréaliste. Oui, même La sonde, une de mes préférées. On y suit une réunion d’extraterrestres outrés, débattant de la bonne conduite à adopter après avoir reçu la plaque de Pioneer, celle envoyée dans l’espace et représentant un homme et une femme nus.
« Avec ses moyens illimités, il avait pu s’offrir l’offre de Gamétis la plus coûteuse – et la plus controversée : l’autofécondation. Il était même connu en Suède pour être l’un des premiers autopères, ou pappasolo. C’était l’un des tours de force scientifiques qui avaient contribué au succès initial de Gamétis et à sa médiatisation. L’équipe de chercheurs de Svéa avait réussi dès 2044 à proposer un modèle de reproduction à partir des cellules d’une seule personne. »
Co-fondateur de Brain magazine, rédacteur en chef de CRAC CRAC sur Canal+, traitant de sexualité de manière décalée, et auteur du roman Le_zéro_et_le_un.txt, première autobiographie d’une intelligence artificielle, parue en 2019, Josselin Bordat réunit ici deux thèmes qu’il connaît bien. Il nous plonge dans le futur du sexe mais plus largement au cœur des relations humaines évoluant dans le prisme des nouvelles technologies. L’anticipation est présente, mais pas dans l’excès, nous rendant le tout assez crédible. Dans conditions générales de ventre, où l’on suit une contrôleuse qualité filiation au sein d’une entreprise de procréation médicalement assistée, nous ne sommes pas totalement dans l’inconnu.
Dans une interview pour GQ Magazine, l’auteur explique que, pour lui, le futur de la sexualité ne viendra pas d’évolutions technologiques mais beaucoup plus de changements idéologiques et intimes, avec une meilleure écoute de l’autre. Cette idée se retrouve beaucoup dans son livre car même si, ne nous y trompons pas, c’est avant tout un recueil où l’on rit beaucoup, les personnages font tous face à des changements, des questionnements qu’ils essaient de gérer au mieux. En nous les présentant, qu’ils soient « hétéro, fléxi, ambigenrés, fémineutre, neutrasculine », selon les termes inventés par lui, Josselin Bordat nous rassure sur notre avenir et sur l’amour qui fera toujours de nous des humains.
« A ses pieds, il vit alors passer, juste devant lui, un bousier qui roulait sa boule. Il sourit. Lui aussi, toute sa vie, il avait sans cesse recommencé, et sans cesse poussé sa boule sans s’arrêter. Et maintenant il allait mourir. Il n’y avait là aucune morale particulière, et cela lui convenait. Il prit son téléphone pour souscrire, avec les derniers crédits qu’il lui restait, à l’appli FunéRARE, qui proposait de rémunérer des personnes pour assister à des enterrements. »
Dans Le bousier, c’est le choix amoureux trop vaste qu’offre le futur et ses applications de rencontres qui perdra le personnage principal. Il tentera tout, toutes les expériences, toutes les relations, mais aucune ne le satisfera réellement et assez longtemps. J’aime cette nouvelle pour cet aspect, celui qui nous différencie tant de l’époque de nos grands-parents, où la première rencontre devenait souvent celle d’une vie et le partenaire se rencontrait dans un cercle restreint. Aujourd’hui, nous avons le choix, un choix immense à portée de clics. Nobel, le héros de cette nouvelle, résume cette frustration, celle qui nous dit que nous ne sommes plus faits pour vivre avec la même personne toute notre vie, que ce n’est plus assez. Il vivra des histoires à trois, à quatre, en groupe, oscillant entre les relations avec « des filles intéressantes qui ne l’excitaient pas et des filles excitantes qui ne l’intéressaient pas ». Pourtant, il finira seul, commandant les invités de son enterrement sur une application car, comme il le répète tout au long de l’histoire, il n’était jamais prêt. Prêt à s’engager vraiment, de cœur et non pas de corps.
- L’espèce bipède est séparée en deux genres seulement : mâle et femelle.
- Mon bulbe, deux seulement ? S’agit-il de genres fixes ?
- Apparemment, oui.
- Mon bulbe, quel drôle de vie …
Si je n’ai pas aimé Maria Prima, dont je n’ai pas vraiment compris l’intérêt dans cette thématique, et Good Girl, j’ai en revanche également beaucoup aimé destination Uranus, où l’on suit des participants d’une émission de télé-réalité dans l’espace. Passant près d’un trou noir, ces derniers se mettent à vieillir prématurément, tandis que la productrice fait croire aux téléspectateurs que tout ceci est l’effet d’un trucage pour continuer de diffuser, conduisant les candidats à une mort certaine. Enfin, la toute première nouvelle de ce recueil, one more time, vaut aussi le détour. Si, à mon sens, le dénouement reste assez classique, j’ai été touché par cet homme et cette femme qui essaient de sauver leur couple à travers une nouvelle technique, la chronothérapie. Couvert par l’assurance maladie, ce traitement permet aux patients de choisir des moments importants de leur couple et de les revivre en voyageant dans le temps. Et en se tenant à distance, bien sûr !
2069,
12 récits futuristes avec du sexe, de l’amour et des robots tout nus
Josselin Bordat
éd. Anne Carrière, collection Sex Appeal, 2020
Illustration de couverture, Joachim Roncin
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- L'artiste de bande dessinée Aldo di Gennaro,
- Pony Wave,
La Photographie de l'auteur est de Martin Quenehen (détail).
Amalia Luciani
Historienne de formation elle est enseignante, photographe et nouvelliste. Elle a été journaliste en freelance.
Responsable de la rubrique Littérature de l'Imaginaire, elle gère le compte et les communications Instagram. Elle est également l'experte polar de Kimamori.