Le Bleu du temps, de Hubert Haddad

Faire abstraction de tout

Comme c'est bon de lire de temps à autre un livre merveilleusement écrit. N'y étant plus habituée j'ai dû ralentir mon rythme de lecture, et très vite j'ai savouré ces phrases où chaque mot est pensé, recherché, posé là avec conscience. Et puis c'est un roman d'Hubert Haddad, qui sait tout écrire, qui s'essaie à tous les genres littéraires, cultures, pays, pensées. Ici nous sommes à Londres, dans l'univers d'un peintre. Les couleurs nous parlent, les images de la ville lors des longues promenades solitaires de l'artiste s'imprègnent en nous. Et nous nous laissons envoûter par l'histoire tant simple qu'étrange.

Le roman s'ouvre sur les images de Londres. Un homme marche. Il admire une beauté obscure, rêche, brute. La ville de nuit, des poutrelles d'acier, le viaduc, la fumée. La Tamise. Et l'agencement naturel des couleurs et des formes, des sombres et des déliés le fascine. Pourquoi peindre, se demande-t-il, alors que l'oeuvre absolue chaque jour se dessine sous ses yeux dans l'air éthéré, sale, bruineux. Puis il rentre chez lui. Il habite dans un immeuble qui va être démoli sous peu. Il monte à pied les six étages, et le voilà dans son atelier. Il travaille sur une série de tableaux bleus. Ne l'intéresse que l'art abstrait. Et puis un jour une jeune femme vient le trouver, et fera basculer sa vie. Mais non pas d'une manière que vous pourriez deviner, imaginer, en lisant mes mots...

Les personnages de ce livre, peu nombreux, sont fascinants. L'univers, le décor, et le déroulement même de l'intrigue sont vaporeux mais non pas fades. Tout a du corps étrangement, mais ce qui devrait avoir du corps en est dénué !  Rien ne nous est dit directement et pourtant au fil des pages on connaîtra le passé de chacun, les revers de fortune, les ruptures qui ont eu raison de leurs chemins de vie. Notre homme a été un peintre connu et reconnu autrefois. Un jour il a cessé de peindre du figuratif. Et cette femme, mystérieuse, inquiétante et paraissant immatérielle, dit connaître le peintre.

Vous savez, parfois dans la vie, comme dans un livre, on sait ce qui va se passer mais on s'efforce d'en faire abstraction. Notre conscience reste dans le déni et rejette la chose pressentie. Dès lors, quand bien même on serait surpris et enragé par le dénouement d'une histoire on n'est nullement étonné. Et cela cause une souffrance indicible. Ainsi est faite l'âme humaine. Le Bleu du temps met en scène quelque tourment, hérité du passé, qui ne peut que se rejouer. Le lecteur lira le roman jusque la dernière ligne parce que le souffle du récit le porte, et parce que l'ensemble, et chaque infime partie de l'ensemble est simplement beau. 
Paris, Londres, New York accueillent le personnage principal. Le passé, le présent, l'avenir peut-être. Il a vécu à Paris autrefois, il expose à New York pendant le temps de l'histoire et sous son nouveau nom d'emprunt. Mais je me suis demandé si la sensation omniprésente d'un écoulement du temps très londonien ne s'insinuait pas partout... Nous voilà revenus donc à La Tamise. Ce cours d'eau mystérieux, que les écrivains aiment inviter dans leurs récits, et qui ensorcelle le lecteur !

Il attira la jeune femme, une main sur ses flancs, vite envahi par sa chaleur. Une comptine de questions le berçait mais il n'en percevait qu'un murmure, bruissement d'eau vive sur des cailloux.
(...)
C'est Malena qu'il entendit. Son épouse d'autrefois se retournait vers lui sur la rive d'un fleuve au cours ample comme un ciel d'été. Elle se retournait vers lui sous la roue d'un moulin qui arrachait des draperies d'eau et de soleil où palpitait le film bleu du temps. Quelque chose d'humide l'éveilla tout à fait. Il gardait sans raison en tête, indélogeable, ce mot de Balzac sur l'artiste : « Il ne peut être qu'un dieu ou un cadavre. »

Je ne sais pas pourquoi j'ai sélectionné cet extrait, au lieu de vous donner à lire quelque image de la ville ou de ses parcs s'insérant dans les longs errements de notre homme. Ce pourrait être parce que c'est la seule occurrence où il est fait référence au bleu du temps...

LE BLEU DU TEMPS
Hubert Haddad

éditions Zulma 1995
sortie poche 2018 

Les illustrations présentées sont les œuvres de :
- Joseph Mallord William Turner,
- James Abbott McNeill Whistler.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Comments

  1. Désolée mais je n’ai pas du tout aimé ce roman dont l’écriture n’est pas fluide. On dirait un exercice de style. De plus, les personnages ne sont pas attachants. J’admire Hubert Haddad mais cette fois le rendez-vous était raté et j’en été navrée.

  2. Author

    C’est probablement une question de moment aussi. J’ai lu ce roman à un moment où cette écriture particulière m’a convenu, mais je comprends ce que vous dites. Quel autre roman de Hubert Haddad avez-vous lu et aimé ? (C’est un écrivain prolifique et qui s’essaie à tous les genres, et d’un livre à l’autre tout est différent !)

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