L'amitié nous permet de tout traverser !
« Quels temps que ceux où parler des arbres
Est presque un crime parce que
c’est faire le silence sur tant de forfaits ! »
Cette citation est extraite du poème de Bertold Brecht, À ceux qui naîtront après nous. Le nom de ce film est extrait de ces vers. Je vous dis cela dès les premiers mots de ma chronique mais dans le film il se passe un long moment avant que ces vers soient évoqués. Aussi, on nous laisse croire en une douce saveur de la vie, et de ce joli "parler des arbres" qu'on est allé voir. Car oui, le film est d'une grande tendresse. La douceur de vivre s'y meut. L'amitié entre quatre hommes qui se connaissent depuis des lunes est toujours aussi florissante et candide. Mais progressivement on apprendra à connaître leur histoire et comprendre que cette relation qui les lie et qui se vit chaque jour dans des instants magiques partagés a été leur arme contre la désolation, la destruction de l'âme qui les guettait jour après jour depuis le renversement du régime qu'ils ont vécu, jeunes, dans leur pays, le Soudan.
Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb ne sont nullement des militants. Ils n'ont jamais été activistes. Ils sont tous quatre cinéastes de formation. Ce sont des passionnés de cet univers, depuis toujours. L'un d'entre eux a fait ses études de cinéma en Russie, un autre, menacé pendant le changement de régime, a émigré un temps au Canada. Ils parlent les langues étrangères et sont érudits. Mais ils mènent une vie simple dans ce paysage désolé de poussière et de ruines. Nous les suivons dans leur quotidien. Nous les voyons se déplacer dans leur vieux van pour tenter de faire des projections de film à droite et à gauche, dans une cour de maison, sous un arbre... Et puis leur vient cette idée de tenter d'ouvrir, de ré-ouvrir un cinéma en plein air, comme d'antan où les projections de film et les regroupements candides étaient autorisés. Mais ce ne sera pas une mince affaire.
J'ai toujours pensé que les petites choses de la vie étaient celles essentielles. Nous en avons une démonstration magistrale dans ce film. Car ces hommes font de petites choses. Le soir ils se réunissent autour d'un feu et sirotent leur boisson. Ils échangent des blagues, se remémorent le passé, reviennent sur telle et telle anecdote. Ils rient de bon cœur. Et lorsque leur vient l'envie de redonner vie à un cinéma, ils procèdent encore par de petits pas. Ils vont visiter les anciens locaux de cinémas abandonnés depuis belle lurette. Ils téléphonent au propriétaire avec leur petit portable. Lorsqu'ils ont enfin une ouverture pour mener à bien leur projet, eh bien ils passent des jours entiers à balayer le sol, laver les murs, dépoussiérer, remettre en état. Ils essaient de mettre la main sur un matériel, antédiluvien pour nous mais bien précieux pour eux. Ils feront tout cela sans se prendre au sérieux, tout en agissant avec le plus grand sérieux.
Le film se déroule lentement. Et talentueusement il nous retrace l'histoire du Soudan, et celle des quatre cinéastes. Ils ont l'amour du cinéma mais ils n'ont réalisé aucun film depuis des décennies. Les uns et les autres avaient été de jeunes cinéastes prometteurs du temps de l'ancien régime. Quelques séquences de leurs films de jeunesse sont insérés dans le documentaire. Des images en noir et blanc, finement conçues, portant une parole, une beauté. Mais brutalement leurs vies de réalisateurs ont été interrompus. Ils ont dû se taire et brimer leurs envies de faire des films. Le cinéma a continué malgré tout de vivre en eux chaque jour. Ils ne peuvent s'empêcher de tourner des scènes, avec leur téléphone portable. Ils imaginent un scénario, une idée, une manière de mettre en image un phénomène. Ils se sont nourris de leur passion chaque jour qui passe, et le lendemain et le surlendemain encore.
Talking about Trees est un très beau film, émouvant et drôle. À leurs côtés on rit et on s'amuse de mille petits riens. Mais j'avoue que j'avais le cœur serré car la vraie histoire est si triste. Fort heureusement Marie Baldacci la productrice, française, du film était l'invité du cinéma. Thierry Dorangeon du Complexe Galaxy (à Lecci) lui a donné la parole. Il lui a posé des questions simples et essentielles. Et elle nous a raconté l'autre histoire : celle de la genèse du film, de sa réalisation, et de l'après. Car ce film a eu le don, miraculeux, de se faire prophétique. Tout cela que les quatre hommes ne peuvent faire aboutir se fera par la suite. Ce cinéma qu'ils ne peuvent inaugurer et mettre en activité sera précisément le lieu où le documentaire Talking About Trees sera projeté. Pendant le temps du tournage et de la production le régime tombe, les changements se produisent dans le pays même ! La magie du cinéma a eu le dernier mot et la persévérance de ces hommes a été ainsi récompensée...
Je vous invite vivement à aller voir ce film qui a raflé tous les prix récompensant un documentaire, à son passage dans tant de lieux, festivals et pays. Son propos tendre et chaleureux vous gagnera.
TALKING ABOUT TREES
Réalisateur : Suhaib Gasmelbari
Scénario : Suhaib Gasmelbari
Producteur : Marie Balducchi
Montage : Nelly Quettier, Gladys Joujou
Directeur de la photographie : Suhaib Gasmelbari
Montage Son : Jean Mallet
Son : El Sadig Kamal, Katharina Von Schroeder
Date de sortie France : décembre 2019
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.