Les grands cerfs, de Claudie Hunzinger

L'art de l'affût

Le Prix Décembre couronne chaque année une oeuvre de littérature qui se distingue par son écriture. Cette année le roman de Claudie Hunzinger a été le lauréat de ce prix ; et en effet il est écrit. Les grands cerfs est un de ces livres français, remarquables parce qu'ils ne sont pas très courants, qui excelle en nature writing. Ici nous baignons dans la nature, une grande partie du récit. Et nous observons. Nous contemplons. Et nous tentons de nous fondre dans la nature... aux côtés de la narratrice envoûtée par les cerfs !

Pamina et Leo, un couple citadin, s'est installé dans une région de montagne, retirée de la frénésie des villes. Ce choix volontaire et revendiqué ne les porte pas, pourtant, dans une vie quotidienne plongée dans la nature. Or un jour Pamina va s'intéresser à la démarche d'un photographe qui depuis plusieurs années s'installe dans une petite cabane située sur leur terrain pour observer les cerfs. Elle va se rapprocher de lui, et apprendre. Elle s'initie au savoir-faire de l'affût. Et elle s'y attelle, jour et nuit, d'abord avec Léo, puis seule. Le lecteur la suit dans cette aventure, apprend à ses côtés, s'émerveille et se laisse hanter par la découverte du cerf, de ses particularité, de ses habitudes et cycles de transformation.
Très vite la narratrice nous annonce qu'elle guette aussi les déceptions et mauvaises surprises. Et cela viendra. En son temps.

Le récit est bien merveilleux à lire. Le texte est d'une grande beauté. Chaque mot est très précisément à sa place et pourtant nous déplace, nous séduit. Les scènes décrites, tant le paysages que les animaux, sont peintes de main de maître. Oui, je me suis délectée. Et j'ai été ébahie.

Bien entendu le conflit va se mêler de l'histoire. Le monde actuel et ses pathologies aussi. Mais il m'a semblé qu'il s'agissait d'abord et avant tout d'un conflit intérieur propre à la narratrice. Elle est torturée par un débat. Je ne suis pas sûre d'avoir percé la pertinence du débat, en soi vieux comme le monde. J'avoue que j'aurais préféré un drame, ou une suite aussi contemplative que la première moitié qui m'avait conquise absolument. Mais voilà. Je vous parle de ce roman dans mes pages parce qu'avec plaisir je me replongerais dans tous les passages qui m'ont marquée, dans ce texte qui m'a éblouie un soir, alors que je pensais le feuilleter par simple curiosité. Contre toute attente j'avais été happée !

« On s'est tues. Je ne savais pas encore que Petitdem viendrait m'emprunter les trois mues de cerf que j'aurais trouvées cette année-là. Et que nous deviendrions amies.
Nous avons repris l'autoroute. Je l'ai déposée au parking de la gare de Colmar. Elle prendrait la direction de sa vallée, plus chaotique encore que la mienne. Continuant seule ma route, j'ai repensé aux jumelles dans mon sac et à l'homme qui me les avait vendues. Avant que je prenne congé de lui, sur le pas de la porte, il m'avait dit une phrase bizarre, il m'avait dit : " C'est si simple de regarder le monde aux jumelles, et il devient tellement clair." Phrase que je n'allais pas tarder à expérimenter quand, grâce à elles, il me suffirait de les mettre au point par ajustements rapides pour voir le proche et le lointain se rassembler d'un bond, et le réel devenir de l'irréel pur. Un songe. »

Voilà. Les grands cerfs nous embarque, pour voir le proche et le lointain se rassembler d'un bond, et le réel devenir de l'irréel pur. Un songe comme on peut en désirer parfois...

LES GRANDS CERFS
Claudie Hunzinger
éditions Grasset 2019
Prix Décembre 2019

La photographies présentée dans l'article est l'œuvre de Francesco Formisano.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment