« La femme de pierre au caractère d'ours, au nom d'hermine »
J'ai tant aimé ce livre ! Je ne sais dans quel registre il se range tant il brasse large. C'est poétique, anthropologique, sociologique. C'est un éloge des femmes. C'est un récit de formation, de vie, initiatique. C'est une exploration du grand nord, arctique, de la vie rude et ingénieuse qui permet de chasser, de survivre, et de grandir par la grâce des esprits bienveillants. Oui, c'est tout cela mais c'est aussi simplement un roman qui nous transporte dans un ailleurs inconnu, tant géographique que spirituel. C'est une prose enchanteresse, une vision riche de leçons au sujet de la vie humaine.
Le roman s'ouvre sur un drame. Une jeune fille voyage avec sa famille. Ils sont sur la banquise. Elle s'éloigne un instant des autres, et très vite elle entend un craquement. La faille s'élargit en un rien de temps. Son père a tout juste le temps de lui jeter le minimum nécessaire à sa survie : une amulette de protection, une peau d'ours, un harpon. Et la voilà désormais seule. Dans la suite du roman on lira ses aventures, ses mésaventures. Fort heureusement pour elle la chasse est une activité où elle excelle déjà. Mais elle sait que pour passer la saison d'hiver il va lui falloir trouver un groupement d'hommes. Et ainsi, parfois seule, parfois entourée, on la voit évoluer, cette jeune Uqsuralik destinée à devenir une grande âme, amie de grands esprits. Mais cette grandeur se gagnera à force d'obstacles, de malheurs, de difficultés, de mauvais sorts du destins qui la frapperont plus d'une fois.
Le roman est ponctué de chants. Ils sont transcrits sous forme de poésies, qui racontent une histoire. Très vite on comprend que les grandes paroles de vérités sont ainsi livrées. Parfois ce sont des esprits qui les profèrent, en d'autres occasions ce sont les hommes et les femmes qui lancent leurs chants pour raconter une histoire, vraie, douloureuse, en la présence des coupables que le récit dénonce. Car ces inuits ont des manières. Leur manière de vivre, de penser, de raisonner, de traiter des problèmes, d'établir des solutions sont propres à leur culture ancestrale. Les chamans sont des êtres précieux, mais néanmoins normaux ! Les maladies se soignent par des voies particulières, pour chasser l'esprit malveillant qui rode, pour ramener l'âme du malade qui s'est perdu en un long voyage, pour anéantir les chagrins versant dans la folie. Tout est extra-ordinaire dans ce livre. Mais c'est tangible et accessible pour notre esprit à nous, si nous laissons de côté un instant notre manière de vivre et de voir les choses. Et en ce cas on est ravi, envoûté !
Mais il y a une chose essentielle que je ne vous ai pas dite encore. Les relations humaines sont émouvantes dans ce roman. C'est probablement cela qui fascinera et touchera le lecteur plus encore que le reste. Les femmes inuits sont simplement étonnantes. Les personnages de ce roman ont la beauté de tout l'universel et le traditionnel d'un être humain digne et fort, ou indigne et faible !! Tous essuient des contrariétés, sont exposés à la rudesse de cette vie exigeante, de ce climat, de ce décor parfois effrayant. Mais l'entraide est la clé de tout. La vie de la communauté assure la pérennité de la vie individuelle. Et ceux qui partent, reviennent. La fille de Uqsuralik est la petite mère de sa petite mère, la femme qui l'adoptera un jour. Et ce ne sont pas des appellations gratuites. Au moment où une femme donne naissance on prononce les noms des anciens, des parents récemment décédés. Et le bébé répond, en indiquant que c'est bien la grand-mère disparue hier qui est revenue. Comme moi vous adorerez ces personnages, cet homme chamane, ce jeune garçon chasseur, cet oncle sage, cette mère adoptive un peu sorcière...
Alors voilà, si vous souhaitez vous embarquer dans un roman d'aventure, dans le grand nord ; si vous aimez l'inconnu, le autrement ; si vous aimez qu'un livre porte pour noms de chapitres : Uqsuralik, Hila, L'Homme-Lumière, Naja, Deux garçons trois bélugas ; si vous avez envie de comprendre les messages de l'ours, du renard, du phoque, et des bélugas, plongez sans hésitation au cœur De pierre et d'os. Tant pis si l'épilogue vous ramène, nous ramène quelque peu vers l'âpre présent et notre pensée réductrice d'homme blanc, d'esprit rationnel, le reste aura fait son chemin !
Les photographies présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Anke Müllerklein,
- Pierre Verney.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.