Éclectique et alliance des arts : festival Lire le monde

Rencontres succulentes au programme et rencontre inattendue de soi !

Mes chers amis lecteurs, je vais vous raconter ce que j'ai vécu deux jours et demi durant, au festival Lire le monde. Car oui, le festival m'a offert de lire, bien du monde, et au travers de cela de me lire moi-même. J'ai rencontré des écrivains, écrivaines, cinéastes algériens que je ne connaissais pas. Ils rayonnent, ils sont attachants, ils sont érudits et en traitant les sujets graves qu'ils vivent, voient et approchent au quotidien, ils sont humbles et sincères. Oui, depuis que je les ai côtoyés ils ne me quittent plus. Mais j'ai retrouvé aussi ce quelque chose d'indéfinissable qui caractérise le festival AltaLeghje - Lire le monde. Cette cinésthésie des arts qui fait appel à nos sens et nous émeut par mille chemins différents. La comédienne Micaëlla Etcheverry était là, des musiciens sublimes étaient là, des expositions à l'âme grande nous accueillaient, sans parler de la rencontre dégustation, du camion des podcasts etc. Oui, je vais tenter de vous dire tout cela en une seule page !

Cette année le festival se tenait en trois lieux. Deux débats et projection de film documentaire étaient organisés à la médiathèque de Propriano. Puis une lecture - concert se déroulait à Sainte-Lucie-de-Tallano, et la suite, samedi et dimanche se passait à Altagène. À Propriano, Jean-Jacques Beucler et Jean-Pierre Castellani, en compagnie d'Alain Di Meglio, nous ont parlé des corses de la diaspora en nous racontant anecdotes et souvenirs drôles et tendres. Puis le documentaire de Marie-Pierre Valli nous a ému tant que choqué, parce que les propos qui avaient été filmés en 2001 étaient toujours d'actualité. Danièle Maoudj, qui était au cœur du documentaire était présente, et toutes deux ont conversé et répondu à nos questions. Personnellement j'ai été conquise par les deux dames et me suis promis de suivre de près leurs œuvres et conférences à venir.

Mais alors je suis arrivée au couvent Saint François. Lieu de recueillement et d'ouverture à la fois, faisant face à la vallée et aux crêtes de montagnes regorgeant de verdure, nous y avons écouté un texte immense, qui nous a donné des frissons. Micaëla Etcheverry nous offrait de vivre un extrait du Chant perdu au pays retrouvé de Noureddine Aba. Cette lecture se mariait avec la voix de la merveilleuse chanteuse Claire Mérigoux, le qanun de Samir Hammouch, la viole de gambe de Martin Bauer et la vièle à archet de Jean-Lou Descamps. Une sélection de musiques orientales, italiennes et andalouses s'entrelaçait avec le récit déclamé et interprété par Micaëla Etcheverry. Comment vous dire l'émotion qu'a été la mienne. "Les larmes aux yeux" ne dit pas tout, "une saveur d'enfance" non plus. Alors disons que j'ai virevolté sur mon petit tapis volant ! Et j'ai été terriblement intriguée par cet instrument qui se nomme qanun et qui me faisait penser au santour iranien. Oui, émotion et découverte se sont alliés, tout comme les interprètes de la musique et du texte se sont réunis en une seule voix à la fin de la lecture - concert...

          

   

Les programmes du vendredi étaient clos. En compagnie de mes amis du club de lecture je suis rentrée dormir dans les hauteurs de la montagne et samedi matin à la première heure nous étions à Altagène ! Après avoir flâné et exploré les différents espaces aménagés à l'occasion du festival nous sommes allés sous le chapiteau, à la rencontre prévue avec Alain Mabanckou. Nous avons tous adoré l'homme et ses propos, sa poésie et sa sagesse. D'ailleurs je vous en parle dans un article qui y est intégralement dédié, et que vous pourrez consulter en cliquant ici. Ce fut indéniablement un des moments forts du festival. Je vais très certainement lire son dernier livre, Les cigognes sont immortelles, et ne manquerai pas de vous en parler dans ces pages.

En début d'après-midi c'est un débat fouillé et concis à la fois qui nous a accueillis au sortir de la sieste littéraire. Robert Colonna d'Istria et Wassyla Tamzali, aux côtés de Jean-Pierre Nucci nous ont offert un vrai débat, animé par Christine Siméone, présidente de ce festival Lire le monde que j'aime tant. Le thème était délicat et exigeant : Familles, évolutions, révolutions. Naturellement le droit des femmes a été au cœur du débat, car le rapport homme-femme, qu'il s'agisse d'un couple de conjoints ou du couple mère-fils, comme le soulignait Wassyla Tamzali est un point clé dans la question de l'évolution des sociétés. Les invités maîtrisaient tant l'art de la rhétorique que la maîtrise de leur sujet, et nous ne nous sommes pas ennuyés une seule seconde lors de ce face à face.

S'en est suivi une rencontre avec l'écrivaine Maïssa Bey. Une femme posée et intelligente, douce et déterminée... à tel point que l'on pressent qu'elle a tant de choses à dire et à partager. Mais comme toujours avec les personnes qui sont très riches et profondes intérieurement, elles livrent une petite part de tout ce qui se meut en eux. Je pense qu'il faut lire les romans de Maïssa Bey, ou son recueil de nouvelles, pour entrer dans son univers énigmatique, harmonieux et aimant.

Après cela nous avons vécu un très grand moment. C'était probablement une des rencontres phares du festival. Une rencontre entre les invités algériens. Maïssa Bey, Kamel Daoud, Sofia Djama, Wassyla Tamzali se sont retrouvés dans une table ronde improvisée. Des rangées de chaises étaient disposées en cercles concentriques et nous faisions tous partie de ces cercles.  La conversation était joliment animée par Jacques Fournier. Les uns et les autres partageaient leurs impressions suite aux événements récents en Algérie. Tout en nous offrant leur vision et opinions ils nous éclairaient sur l'historique et le contexte du pays. Et puis ils s'exprimaient sur leurs doutes, leurs interrogations, mais aussi leurs joies et leurs espoirs. Trés informel, très détendu, très sincère, ce moment d'échange s'est déroulé en toute simplicité. Et nous, public et visiteurs avons été très touchés par les uns et les autres. Kamel Daoud est d'une grande douceur, et fait preuve d'humilité et de poésie à chaque mot prononcé. Sofia Djama est animée d'un souffle de vie puissant, d'une énergie pétillante. Wassyla Tamzali analyse toutes choses en bénéciant d'une expérience de vie plus longue, et Maïssa Bey y porte un regard modeste en faisant apparaître les différences qui sont issues des différentes générations. Car trois femmes étaient présentes qui ont vécu chacune des moments différents de l'histoire. Trois générations, peut-être, mais surtout beaucoup de profondeur et de nuance pour expliquer la complexité de la situation et l'universalité des désirs du peuple algérien.

Le débat terminé je suis allée me promener un peu. Je me suis rendue à l'atelier d'Ange Felix, artiste ferrailleur installé à Alagène. Puis j'ai déambulé dans cette jolie maison à l'entrée du village, transformée en salle d'exposition où tous les visiteurs et amis de Lire le monde avaient apporté leur photo de famille, l'avaient légendée et où Marie Guerini et Dany Ougier, responsables du projet avaient crée une atmosphère chaleureuse et pris le soin de nous offrir un affichage exquis des photos transformés en petits tableaux munis de leurs cartels. Tant d'histoires étaient racontées là que j'aurais pu y passer mon week-end entier. J'avais moi-même apporté une photo de famille toute récente, que j'ai légendée en me remémorant les beaux moments partagés avec mes proches une semaine plus tôt. Une grande famille était ainsi née et l'exposition était un vaste album de photos de famille, de tous horizons et de toutes époques... Sans oublier la fresque que les élèves du lycée de Sartène avaient créée en partant d'une photo de famille.

Il était temps alors de dîner et de se préparer pour la projection du film de Sofia Djama : Les Bienheureux. Un grand écran était installé sur l'esplanade de l'église d'Altagène. Les chaises installées nous attendaient. Et le film a commencé. Ce cinéma en plein air nous enchantait. Très vite nous avons été absorbés par le film et avons oublié où nous nous trouvions. Nous étions en Algérie et nos cœurs battaient à l'unisson avec ceux des personnages, de cette famille bousculée par l'Histoire, de cette famille qui nous portait dans les bras de la société algérienne, des jeunes et des moins jeunes. Mes chers amis, Les Bienheureux est un très beau film. Magnifique, drôle, intelligent. Ce que le film contient est triste et perturbant. Mais la vie qui s'en dégage, le désir de vivre son humanité, autant que faire se peut, dignement et avec constance malgré les vents contraires des temps politiques inconsolables, est indicible. Il est extraordinaire, à peine croyable qu'une jeune réalisatrice, si volubile et si pétillante ait pu insérer tant de profondeur, ait su faire preuve d'une telle maturité pour faire ce film nuancé, complexe, parlant. Voilà, je ne sais comment trouver les mots pour vous inviter et vous inciter à voir ce film. Et tous les directeurs de cinémas et de cinémathèque qui me lisent devraient à mon sens prévoir une projection de ce film...

La journée de samedi avait été riche. Mais le festival nous réservait encore bien des surprises. Car le lendemain nous allions rencontrer les jeunes écrivains inspirés et érudits Sarah Haidar et Ryad Girod. Nous allions assister à ce débat tant attendu entre Kamel Daoud et Jérôme Ferrari mais également à la lecture du roman poignant de Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, dans l'église du village. Nous allions nous régaler de la rencontre prévue avec la cheffe Gisèle Lovichi et déguster le mets qu'elle nous avait préparé. Nous allions vivre la rencontre palpitante et impressionnante des jeunes érudits de la revue numérique corse Tempi Rivista. Et nous allions nous laisser bercer par le délicieux bal littéraire et soirée musicale prévue à 21 heures au bar Chez Coco. Comme vous pouvez l'imaginer j'aimerais vous raconter le plaisir que j'ai eu à vivre chacun de ces moments inoubliables. Alors je vous donne rendez-vous dans un article à venir, et dans un numéro de mon journal à venir pour partager avec vous dans le menu détail ces rencontres et découvertes... Voici pour aujourd'hui quelques images qui ne manqueront pas de vous mettre en appétit :

      

      

   

            

      

Oh, je peux vous dire encore un mot. Ces derniers jours j'ai revu et discuté avec mes amis du club de lecture qui ont vécu le festival, et avec leurs amis qui s'étaient joint à nous. À l'unanimité ils m'ont dit avoir été très heureux de s'être rendu au festival et qu'ils avaient l'intention d'y retourner l'année prochaine. Ceux qui n'avaient pu venir qu'une demi-journée disaient être décidés à s'y rendre plus longuement l'année prochaine. Eh oui, Lire le monde nous touche et l'on s'y attache. C'est peut-être parce que le temps de ces débats et ateliers, expositions, lectures, concerts, on fait des rencontres si riches que notre nature profonde s'en émeut, et l'essence particulière qui nous anime se ravive ; et notre soi s'en trouve un peu plus émancipé, un peu plus libre !

Voici deux autres articles qui vous parlent du festival Lire le monde 2019 et de ses invités :
- L'esprit du lieu,
- Alain Mabanckou : la générosité incarnée.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment