Recycl'Art et détournement de grandes marques !
Vous le savez, une exposition me plaît tout autant pour son contenu que pour le lieu dans lequel il se déroule. Or un lieu ne va pas me charmer uniquement par son architecture. L'histoire d'un lieu, ce qui s'y est vécu, viennent nourrir les œuvres exposées, et donner de la portée à la parole de l'artiste présenté. De passage à Nice en ce début d'année j'ai voulu faire un petit tour à la Galerie Lympia, située dans l'ancien bagne de ce vieux port qui date de 1749. Il avait été édifié à l'époque du Roi de Sardaigne Charles Emmanuel III sur un sol marécageux, à l'embouchure du torrent Lympia...
En 1802, durant la période française du lieu, le bâtiment devient un bagne militaire. En 1814 les autorités sardes maintiennent ce nouvel usage du bâtiment du port Lympia qui perdurera. Après l'annexion de 1860 le bagne se transforme en maison pénitentiaire jusqu'en 1887. Ce bâtiment ancien et celui de l'horloge, ajout ultérieur, ont été rachetés par le département en 2012. Suite à des travaux conséquents le lieu s'est transformé en salle d'exposition, ouvert au public depuis l'été 2017. Les photographies de Raymond Depardon, les sculptures de Giacometti ont notamment été exposés à la Galerie Lympia. Le jeune Anthony Alberti y expose ses œuvres de Recycl'Art jusqu'au 24 mars 2019. Il cherche à donner une autre vie, un autre sens aux objets qu'il récupère dans les poubelles. Il dénonce aussi l'emprise des réseaux sociaux et des marques internationalement connus, force de frappe d'une globalisation à outrance. Il nous dit :
Je suis content d'être à l'espace Lympia.
C'est une ancienne prison et en fait j'ai voulu exposer
plein de choses qui nous emprisonnent.
Tagueur à ses débuts puis peintre, sculpteur et photographe, Anthony Alberti, alias Mr One Teas, a évolué progressivement dans son travail. Et puis, il a surtout pris la décision un beau matin de devenir artiste, et de vivre de son art. Précisons que le département des Alpes-Maritimes a mis à sa disposition cet espace et que l'entrée est gratuite pour tous les visiteurs.
Les thématiques autour desquelles il construit ses œuvres sont très actuelles, au titre desquelles la "mal-bouffe", la sur-consommation, le mépris de l'environnement ou l'enfermement causé par les réseaux sociaux.
L'amusant est que tout est construit et pensé de façon ludique. Je me suis amusée à systématiquement regarder le cartel affiché à côté des œuvres car les titres des pièces sont des jeux de mots, et nous invitent à dialoguer en quelque sorte avec l'artiste. C'est drôle, c'est léger, et ça capture tous ces mots qui saturent l'espace public sonore et visuel actuel ; tant de mots qui nous appauvrissent au lieu de nous enrichir.
Mais j'avoue que c'est le parcours lui-même qui m'a intéressé, lié en grande partie au bâtiment qui accueille l'exposition. Pour vous donner un exemple, nous n'avions cessé de monter et de descendre mille marches depuis le début de la journée avec l'amie qui m'accompagnait à cette exposition. Aussi, arrivée à la salle du haut nous avons vu un ascenseur / monte-charge qui semblait être en fonctionnement. Nous avons demandé au gardien si nous pouvions l'emprunter pour redescendre. Il semblait amusé, et nous a guidé dans l'utilisation de l'appareil. Eh bien, cet ascenseur servait à faire descendre les détenus autrefois. Une sirène assourdissante bipait lors de la descente. L'ascenseur, en se mettant en branle, nous a instantanément effrayé. Et puis, il fallait garder le doigt appuyé sur ce gros bouton rouge qui faisait fonctionner l'appareil en mode descente, au risque de se retrouver bloqué en chemin. Nous étions dans la peau de détenus, enfermés là, durant ce laps de temps qui nous a semblé être une éternité. En sortant de l’ascenseur nous étions prises par un fou-rire très nerveux. La charmante jeune femme de l'accueil qui se trouvait en bas a ri avec nous et nous a rassurées. Mais j'avoue que pour rien au monde je n'aurais voulu rater cette drôle d'expérience. Nous venions de voir les pièces de l'artiste qui s'appelaient "Daily Confess" "Social attack" et «Reality Shields" - (montrées dans les photos ci-dessous). Tout cela nous a semblé relever d'une comédie très dramatique...
J'aurais bien aimé, malgré tout, poser une question à l'artiste. Pourquoi a-t-il fait appel à la langue anglaise du début à la fin de l'exposition? Tous les titres, tous les jeux de mot, affiches, enseignes etc sont en anglais. Ils sont réussis, certes. Mais tout de même, ne s'inscrit-il pas lui-même précisément dans la démarche qu'il dénonce ? Si je parcourrais l'exposition en compagnie d'un adolescent et le voyais comprendre et réagir à chaque occurrence, bien entendu, je retirerais ma question...
Mais le plus important est peut-être son propos sur l'influence de l'imagerie moderne dans l'esprit des très jeunes générations. Tous ces sigles et logos qui font partie de notre quotidien, en partant du M majuscule arrondi et jaune de la restauration rapide McDonald's en arrivant au logo rond et vert très contemporain des cafés Starbucks. Les jeunes, nous a-t-on expliqué, passent à côté de ces pièces sans même les détailler. Ils lisent Starbucks et McDonald's alors que l'artiste montre et dit autre chose. Nos cerveaux seraient tout comme pré-programmés ; et cela est alarmant quand ils s'agit de très jeunes cerveaux.
Si vous êtes à Nice je vous invite à aller voir cette exposition. Et si un jour dans le futur vous êtes de passage à Nice, passez voir ce lieu, quel que soit l'exposition en cours. Car il est une dernière chose sublime à la Galerie Lympia, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent. On est si bien accueilli, accompagné, guidé... Le proverbe vous parle de l'amabilité d'une porte de prison. Eh bien l'amabilité côtoyée est plutôt un modèle à suivre ici, et cela ne gâche rien à la visite ! Je devrais même dire que je n'avais encore jamais rencontré une telle excellence d'accueil dans un musée.
Pour avoir un bref aperçu de l'exposition et entendre l'artiste s'exprimer je vous pourrez regarder la vidéo ci-dessous. Et en cliquant ici, vous pouvez vous rendre sur le site internet de la Galerie Lympia.
La photographie présentée en tête de cet article est de Jean-François Ottonello.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
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Merci pour l article
Si vous avez des questions n hésitez pas à venir un dimanche pour une visite commentée à 14h ou 15h45