« Giacometti, entre Tradition et Avant-Garde »
Une cinquantaine de sculptures d'Alfredo Giacometti sont présentées au Musée Maillol, aux côtés de 25 œuvres d'autres sculpteurs majeurs tels que Bourdelle, Rodin, Richier, Zadkine... Croquis et dessins côtoient des photographies remarquables, vidéos et citations bien choisies viennent faire parler le tout. J'avais entendu parler de l'exposition dans une émission radiophonique** qui le présentait très joliment, et lorsque je me suis trouvée à Paris fin novembre 2018, je m'y suis rendue. J'ai été enchantée. Je vous invite à y aller si vous en avez la possibilité, d'autant plus que l'exposition est prolongée jusqu'au 3 février 2019. C'est un parcours poétique qui vous attend, dans un lieu magique, et le tout pensé pas un commissaire d'exposition talentueux et inspiré qui n'est autre que la directrice de la Fondation Giacometti.
Nous avons tous vu des sculptures de Giacometti, un jour ou l'autre, peut-être à la Fondation Maeght dans le sud de la France, ou peut-être en 2001 au Musée d'Art Moderne de New York, ou encore simplement sur des catalogues ou images internet. Mais vivre une exposition apporte malgré tout une joie particulière, nous permet aussi de saisir quelque chose que nous avions soupçonné dans le passé sans jamais parvenir à le formuler. D'où vient Giacometti ? Où va-t-il ? Il nous aurait répondu "je ne fais que ce que je dois faire, je ne peux faire autrement." (1928) Or on sait bien qu'un artiste n'est jamais seul. Il s'inspire d'art antique, se laisse pénétrer par les courants de son époque, et il allie bien des choses diverses et variées pour en tirer ses créations. L'exposition "Giacometti, entre tradition et avant-garde" nous permet d'effleurer ce bien des choses et ressentir cette tradition qui était très propre à l'artiste.
L'exposition n'est ni trop grande ni trop exiguë, on y croise ni trop de choses ni pas assez, c'est juste ce qu'il faut pour attendrir notre âme, enchanter notre esprit et nous présenter l'homme, son atelier, son approche, ses précurseurs, ses confrères. J'ai aimé cette exposition parce qu'elle nous raconte une histoire. Chaque salle en réalité nous raconte une histoire, et chaque œuvre présentée nous susurre son histoire. Pour ma part, j'ai été transpercée par ce que racontait la petite salle des "socles". J'y ai passé un temps infini, suis descendue ensuite retrouver mon souffle, m'aérer l'esprit, me laisser porter par la beauté de la vaste salle du bas et puis je suis revenue, regarder encore.
Dans cette salle, exposées aux côtés des sculptures de Giacometti on voit Les trois nymphes de la prairie, d'Aristide Maillol mais également Les Bourgeois de Calais de Rodin. Et puis l'éclairage est lui-même un travail d'artiste. La lumière ne se montre pas mais porte à notre regard les formes, les ombres, la profondeur de la sculpture, nous laisse percevoir une sensation particulière qui se dégage de la pièce présentée. Elle nous rapproche et nous distancie.
Mais je ne vous aurais encore rien dit si je ne vous parlais des cartels. C'est un pur plaisir que de s'y plonger !
« La Clairière et La Forêt naissent en mars 1950, lorsque Giacometti décide de réunir sur un seul plateau quelques-uns des têtes, bustes et figurines qui peuplent son atelier. Dans ces compositions, ces petites sculptures que l'artiste avait initialement considérées comme râtées, trouvent une nouvelle raison d'être, assemblées sur un plateau que Sartre a défini comme des "petites sociétés magiques." »
« Dans cette série de compositions de 1950, la figure humaine est traîtée au même titre que tout autre élément vivant et naturel : des personnages debout comme des troncs d'arbres, des bustes comme des montagnes, des têtes comme des rochers. »
Chacune des pièces exposées vient éclairer notre compréhension d'une autre pièce, notre ressenti de ce qu'elle dégage. Car, bien entendu, comprendre une sculpture ne veut rien dire, il s'agit simplement de voir. Giacometti disait d'ailleurs (en 1959) :
La sculpture n'est pas, pour moi, un bel objet mais un moyen pour tâcher de comprendre un peu mieux ce que je vois, pour tâcher de comprendre un peu mieux ce qui m'attire et m'émerveille dans n'importe quelle tête (...)
Un peu réussie, une sclpture ne serait qu'un moyen pour dire aux autres, pour commuiquer aux autres ce que je vois.
Avant d'arriver à cette salle, phare pour moi, on s'était imprégné de sculptures des Giacometti, Bourdelle, Zadkine et autres artistes exposés, qu'il s'agisse de têtes sculptées sur socle ou de pièces d'un bloc. La pièce était chargée de monde, aussi, pour me poser dans ma bulle je me suis arrêtée devant une vidéo de Giacometti. Portée par sa vision à la fois floue et déterminée j'ai pu revenir vers les têtes sculptées. Regarder le détail d'un oeil, d'un sourcil, d'une étrange expression... J'ai peut-être ressenti alors ce que disait Giacometti :
Aucune sculpture ne détrône jamais une autre.
Une sculpture n'est pas un objet, elle est une interrogation, une question, une réponse.
Elle ne peut être ni finie ni parfaite.
Au sortir de ce que j'appelle la salle des socles, se trouve une pièce attenante, dans le prolongement des œuvres de Maillol et de Rodin. Elle nous donne à voir l'influence antique, notamment de pièces de l’Égypte ancienne, qui avaient marqué le travail de Giacometti. Tout doucement donc on parvient à se défaire de sculptures qui sont d'une si grande force, d'un souffle si profond, pour descendre alors rêveusement à l'étage du bas.
J'ai déambulé dans cette salle du bas où des pièces sublimes dont La Feuille de Germaine Richier faisaient vibrer l'atmosphère. Cette fois les sculptures étaient grandes, la salle grande, et les sculptures espacées les une des autres. L'éclairage était différent aussi, tout aussi parfait que dans la salle des socles, adapté à la surface et la luminosité de la pièce en question. Un espace contigu nous présentait ensuite les dessins de Giacometti, et son atelier. Œuvres de grands photographes, tous venus s'abreuver à cette source limpide qu'était l'atelier de la rue Hippolyte-Maindron, jalonnaient la pièce. Et bien entendu l'on ne pouvait oublier que le musée qui nous accueillait était "la maison" de Maillol !
Diego Giacometti disait d'Alfredo qu' "il n'avait besoin ni de voyager, ni de sortir, rue Hippolyte-Maindron, il avait tout ce qu'il voulait." Cet atelier qu'il trouvait trop petit lorsqu'il s'y était installé lui permettait finalement, encore des décennies après, de trouver l'espace sensible nécessaire à son parcours de création... Quand Giacometti décrit l'atelier de Germaine Richier, on imagine facilement son propre atelier : Comme en tout atelier de sculpteur régnait un grand désordre éclaboussé ou saupoudré de plâtre, et de la glaise collait au plancher...
On voit, au travers des croquis et des photographies présentées qu'une recherche permanente avait cours dans son esprit et dans ses murs !
Giacometti lui-même avait dit un jour de 1963 :
Mais l'aventure, la grande aventure, c'est de voir surgir quelque chose d'inconnu chaque jour, dans le même visage. Ça vaut tous les voyages autour du monde.
Il me faudrait détailler les pièces de tous les artistes majeurs présentées dans l'exposition, celles de Rodin, Bourdelle, Maillol, Despiau, mais aussi de Brancusi, Laurens, Lipchitz, Zadkine, Csaky ou encore Richier... Mais je préfère vous inviter à aller vivre cela par vous-mêmes. Dans cet article, bref et creux, je ne dis pour ainsi dire rien de ce qui vous attend. Mais, je suis certaine que vous pouvez imaginer comme toutes ces œuvres sont heureuses de se côtoyer ici, un temps, avant de retourner chacune chez soi ! Saluons le travail de l'équipe qui a mis en place ce projet. Catherine Grenier, directrice de la Fondation Giacometti est le commissaire générale de l'exposition.
Je vous invite à vous rendre sur le site officiel du Musée Maillot, dont sur cette page consacrée à l'exposition où l'ensemble de l'équipe qui a mis en place cette exposition est présentée. J'avoue que j'ai eu grand plaisir aussi, sur ce site internet, à revisiter l'histoire de ce lieu qui a hébergé des artistes tel que Alfred de Musset au XIXème siècle, puis un café théâtre où poètes et comédiens ont versé un peu de leur âme, avant de devenir un jour la propriété de Dina Vierny, modèle et collaboratrice de Maillol. Car bien entendu cela ne gâche rien de saisir mieux les vibrations de ce bâtiment qui, en 1739, a été cédé gracieusement à la ville par les religieuses du couvent des Récollets, pour l’édification d’une fontaine monumentale au cœur du faubourg...
** Au début de cet article je vous parlais d'une émission radiophonique que j'avais écoutée et qui m'avait donné envie de voir l'exposition. Je vous invite à l'écouter. C'était La dispute (France Culture) du 14 novembre 2018.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.