Plutôt deux toiles qu'une !
Maha Harada est historienne de l'art et conservatrice de musée. Mais elle est aussi romancière. Elle explore et raconte l'histoire des peintres et de leurs toiles dans ses romans, et s'empare de la fiction pour imaginer la vie cachée et encore inconnue des artistes qu'elle admire. Elle a écrit sur la toile Guernica de Picasso, elle a écrit sur les inspirations japonaises de Van Gogh ; ici elle s'intéresse à Henri Rousseau, autrement nommé Le Douanier Rousseau. La Toile du Paradis est construit comme une enquête. Thriller haletant et tendre il parcourt la fin de la période bleue de Picasso et la genèse du tableau "Le Rêve" de Rousseau. Mais il nous plonge aussi dans le monde actuel des conservateurs de musée, chercheurs et autres acteurs du marché de l'art.
Le roman s'ouvre sur les rêveries d'une surveillante de musée au Japon. Cette jeune femme aime par dessus tout se plonger dans les toiles qui l'entourent et les heures où elle est là, assise sur sa chaise, ne lui paraissent pas longues. Elle vit avec sa mère et sa fille, mène une vie tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Or un beau jour le directeur et le conservateur du musée la convoquent. Ils ont le projet d'organiser une expostion sur le peintre Henri Rousseau. Le conservateur du MOMA, le musée d'art moderne de New York, dépositaire du tableau le plus connu de l'artiste, Le Rêve, accepte de négocier un prêt avec eux, à la seule condition que Orie Hayakawa, notre surveillante patiente et passionnée, soit présente à la table des négociations. Dès lors nous serons plongés dans la vie passée d'Orie et irons de surprise en surprise.
Trois temps ponctuent ce roman : le présent où Orie est surveillante de musée, le passé où elle était chercheuse historienne de l'art, et un passé antérieur, de 1905 à 1910, ce temps où Picasso est à Paris, au Bateau-Lavoir avec ses compères et compagnons dont Apollinaire, et où il admire le travail de ce peintre méconnu voire méprisé, Henri Rousseau. Aux côtés de l'assistant-conservateur du MOMA, Orie mène une enquête sur les origines d'une étrange toile...
Le Lion, ayant faim, se jette sur l'antilope est le titre de ce tableau. Et dans le monde de l'art, qui donc est le lion, et qui l'antilope, mais plus important encore, qui a faim, et de quoi ?! Nous imaginons bien que le marché de l'art a des coulisses énigmatiques et parfois obscures. Il se trame bien des choses dont le commun des mortels n'aura point connaissance. Transformée en enquête menée par deux passionnées des oeuvres et fervents admirateurs de leurs peintres la chose paraîtra drôle et parfois ridicule. Mais peu importe. Tout le long du récit nous avons la voix officielle et la voix cachée : ce que disent les personnages, et ce qu'ils pensent. Une intrigue amoureuse en image de fond colore le tout et maintient l'attention du lecteur en éveil. C'est une histoire que nous lisons là. Bien des éléments sont fictifs. Mais malgré tout l'écrivaine nous transmet son savoir sur Rousseau, sur Picasso, sur cette période où la peinture prend de nouvelles directions. Ces histoires sont d'ailleurs en regard avec l'actualité parisienne qui expose actuellement les périodes bleue et rose de Picasso, et a exposé en 2016 l'oeuvre de Henri Rousseau.
Le texte est facile à lire, l'histoire prenante et l'imagination qui l'abreuve fertile. Et puis il y l'amour des peintures en elle-même qui est joliment écrite. Cette chercheuse Orie, cet assistant-conservateur de musée Tim, aiment ces toiles. Les tableaux leur parlent, leur montrent la vie, les guident et les ensorcèlent. Et cela est merveilleusement raconté dans ce livre.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.